Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Vers elle en un moment, tous mes vœux se tournèrent,
Mes timides regards d’abord s’en expliquèrent,
Et le trouble des siens avec soin consulté
Ne me fit que trop voir que j’étois écouté.
De ces muets témoins de mes flammes secrètes
Cent soupirs échappés furent les interprètes,
Tout leur fut favorable, et soit qu’à tant d’ardeur
De la belle Princesse on crut devoir le cœur,
Soit que par mon hymen on se fît une joie
De pouvoir prévenir les disgrâces de Troie,
Priam dont sans rançon j’obtins ma liberté
Me permit tout l’espoir dont je m’étois flatté.
Charmé de ce succès je viens trouver Achille.
Quel revers ! mon espoir fut un bien inutile.
Achille en ce moment tout saisi de fureur
Ne parloit que de sang, ne méditoit qu’horreur ;
Patrocle avoit péri. Dans son impatience
Troie entière étoit due à sa juste vengeance.
Hector fut le premier qu’il jura d’immoler,
J’adorois Polixène, et je n’osai parler.
Les effets ont rempli cette funeste envie,
C’est peu qu’Achillle ait vu tomber Hector sans vie,
Trois fois, pour assouvir ses furieux transports,
Autour des murs de Troie il a traîné son corps,
Et si sa haine en vous n’eut point trouvé d’obstacles,
Peut être eussions-nous vu de plus sanglants spectacles.
L’étouffant pour vous plaire il a par mille honneurs
De ses emportements réparé les rigueurs,
Et si bien modéré son humeur violente,
Qu’à Priam depuis hier il a cédé sa tente.
C’est de là qu’à toute heure il rend ce roi témoin
Que satisfaire Hector est son unique soin,
Un vain tombeau dressé pour apaiser son ombre
De ces honneurs rendus vient d’augmenter le nombre.
Et pour un ennemi, jamais tant d’amitié
D’un vainqueur adouci ne fit voir la pitié.