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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/20

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Je viens offrir, Madame, à ces mêmes bontés
De quoi remplir l’éclat du sang dont vous sortez.
Assez et trop longtemps une funeste guerre
Par ses vastes horreurs désole cette terre.
Assez le vieux Priam a vu ses cheveux gris
Dans ses derniers baisers teints du sang de ses fils.
À force de combats Troie en est épuisée,
Il n’est mère à gémir qui ne soit exposée ;
Chacun plaint sa disgrâce, et dans nos longs revers
Ces lugubres habits montrent ce que je perds.
Dix frères au tombeau m’ont demandé des larmes,
Ce sont de ma douleur les ordinaires charmes ;
J’ai pleuré Lycaon, Antiphone, Mestor,
Troile ; je me tais du malheureux Hector,
Il doit être apaisé par l’honneur qu’à sa cendre
Aux pieds de nos remparts son vainqueur vient de rendre ;
Nos yeux de cette pompe ont été les témoins,
L’éclat m’en surprend peu, c’est l’effet de vos soins.
Mais en vain ces honneurs souffrent que je respire,
La fin m’en fait trembler, demain la trêve expire,
Et pour peu que la guerre ait encor à durer
J’aurai bientôt Hécube et Priam à pleurer.
Ils ne survivront point à la perte de Troie,
Au fer, au feu déjà je la crois voir en proie,
Hector étant sans vie elle n’a plus d’appui,
Lui seul en faisoit l’âme, elle étoit toute en lui,
Rien ne peut réparer une perte si grande,
Tout périt sans la paix, et je vous la demande.
Voyez pour l’obtenir et d’Achille et de vous
La fille de Priam tomber à vos genoux,
Voyez-là pour un père…

BRISEIS

Ah, c’en est trop, Princesse,
Une tendre pitié dans vos maux m’intéresse,
Et je les envisage avecque tant d’effroi,
Qu’en travaillant pour vous, je crois agir pour moi.