Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/34

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Que ne m’ont-ils, ces Dieux, qui vouloient me trahir,
Donné quelque Rival que je pusse haïr !
Son Sang auroit été le prix de ma Victoire.
Que n’ose Agamemnon m’en disputer la gloire !
Ses Grecs pour ce triomphe armés tous contre moi,
Me trouveroient un cœur incapable d’effroi ;
Mais j’ai beau l’affermir, ici tout m’abandonne,
Au seul nom de Pyrrhus je frémis, je m’étonne,
Et malgré tout l’amour que j’en sens redoubler,
Dés que je vois un Fils je commence à trembler.
Pourquoi cette foiblesse ? il doit tout à son père.
Est-ce à moi d’étouffer une flamme si chère,
Et prétend-il ce Fils que ne lui devant rien
J’achète son repos par la perte du mien ?
Non, non, s’il doit souffrir, jouissons de sa peine,
J’offense, en balançant, l’aimable Polixène,
Raison, pitié, tout cesse où brillent ses appas,
Et qui doute un moment ne la mérite pas.
C’en est fait, tout le veut, ne songeons qu’à lui plaire,
Faisons au nom d’amant céder celui de père,
Quelque ennui que Pyrrhus en puisse recevoir
Il a pour s’en guérir le temps et son devoir.

ALCIME

L’amour peut sur Pyrrhus avoir pris quelque empire ?
Mais quoique Briseis, Seigneur, vous ait pu dire,
Peut-être il n’aime pas avec assez d’excès
Pour se faire un malheur de votre heureux succès,
Et sitôt qu’il saura que cet amour vous gêne,
Son respect…

ACHILLE

Non, Alcime, il a vu Polixène,
Et ce charme attirant qui gagne tous les cœurs,
Ne sauroit inspirer de légères ardeurs,
J’en suis trop convaincu par mon expérience,
N’en doute point, il l’aime avecque violence,
Et tout l’espoir qui s’offre à mon cœur alarmé,
C’est que brûlant pour elle, il n’en soit point aimé.