Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/404

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et tout ce que jamais on vanta de plus beau,
C’est ne vous en offrir qu’un imparfait tableau ;
Je voudrois l’ébaucher, & n’en suis point capable ;
Il a le port divin, la taille incomparable,
Et le ciel, pour lui seul, semble avoir réservé
Ce qu’il eût de plus rare & de plus achevé.
Il marchoit tout rêveur, & m’ayant apperçûe,
Il a voulu d’abord se soustraire à ma vûe,
J’en ai compris la cause, &, pour ne perdre pas
L’heureuse occasion de sortir d’embarras,
Je voi par quel souci vous suivez cette route,
Une aimable comtesse en est l’objet sans doute,
Ai-je dit. À ce nom surpris, troublé, confus,
Il m’a parlé long-temps en termes ambigus.
J’ai remis le discours sur l’aimable comtesse,
Et ménagé son trouble avecque tant d’adresse,
Que trahi par lui-même, il n’a pû me cacher
Qu’il étoit l’Inconnu que vous faites chercher ;
Mais son nom est encor ce qu’il s’obstine à taire ;
J’ai voulu l’amener, & je ne l’ai pû faire ;
Il ne paroîtroit point, qu’il ne puisse juger
Que son attachement ait sû vous engager.
Sa conversation ravit, enchante, enleve,
Sa personne commence, & son esprit acheve.
Que ne m’a-t-il point dit du bonheur qu’il se fait,
De ressentir pour vous l’amour le plus parfait ?
Ses manieres en tout sont douces, agréables ;
Et si nous nous trouvions encor au temps des fables,
Je croirois que pour vous quelque dieu, tout exprès,
Serait venu du ciel habiter ces forêts.
Quand pour un tel amant on prend de la tendresse,
Si c’est foiblesse en nous, l’excusable foiblesse !

Le Vicomte.

Vous peignez assez bien, le portrait n’est pas mal,
Les traits beaux, mais néant pour son original.
J’ai vû l’Inconnu, moi, le vrai, ce qui s’appelle
L’Inconnu régalant ; le vôtre, bagatelle.