Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/461

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En tumulte au palais je suis vîte accouru,
Dans toute sa fureur mon transport a paru ;
J’allois sauver un bien qu’on m’ôtait par surprise,
Mais, averti trop tard, j’ai manqué l’entreprise.
Le duc, unique objet de ce transport jaloux,
De l’aimable Henriette étoit déjà l’époux.
Si j’ai trop éclaté, si l’on m’en fait un crime,
Je mourrai de l’amour innocente victime,
Malheureux de savoir qu’après ce vain effort,
Le duc toujours heureux jouira de ma mort.

Salsbury.

Cette jeune duchesse a mérité, sans doute,
Les cruels déplaisirs que sa perte vous coûte ;
Mais dans l’heureux succès que vos soins avoient eu,
Aimé d’elle en secret, pourquoi vous être tû ?
La reine dont pour vous la tendresse infinie
Prévient jusqu’aux souhaits…

Le Comte.

Prévient jusqu’aux souhaits…C’est là sa tyrannie.
Et que me sert, hélas ! cet excès de faveur
Qui ne me laisse pas disposer de mon cœur ?
Toujours trop aimé d’elle, il m’a fallu contraindre
Cet amour qu’Henriette eut beau vouloir éteindre.
Pour ne hazarder pas un objet si charmant,
De la sœur de Suffolc je me feignis amant.
Soudain son implacable & jalouse colere
Éloigna de mes yeux & la sœur & le frere.
Tous deux, quoique sans crime, exilés de la cour,
M’apprirent encor mieux à cacher mon amour.
Vous en voyez la suite, & mon malheur extrême.
Quel supplice ! Un rival posséde ce que j’aime !
L’ingrate au duc d’Irton a pû se marier !
Ah, ciel !

Salsbury.

Ah, ciel !Elle est coupable, il la faut oublier.

Le Comte.

L’oublier ! Et ce cœur en deviendroit capable ?
Ah, non, non, voyons-là cette belle coupable,