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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/464

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Et le comte d’Essex, si grand, si renommé,
M’aimant avec excès, pouvoit bien être aimé.
C’est dire peu, j’ai beau n’être plus à moi-même,
Avec la même ardeur je sens que je vous aime,
Et que le changement où m’engage un époux,
Malgré ce que je dois, ne peut rien contre vous.
Jugez combien mon sort est plus dur que le vôtre,
Vous n’étes point forcé de brûler pour une autre ;
Et quand vous me perdez, si c’est perdre un grand bien,
Du moins, en m’oubliant, vous pouvez n’aimer rien.
Mais c’est peu que mon cœur, dans ma disgrace extrême,
Pour suivre son devoir, s’arrache à ce qu’il aime ;
Il faut, par un effort pire que le trépas,
Qu’il tâche à se donner à ce qu’il n’aime pas.
Si la nécessité de vaincre pour ma gloire
Vous fait voir quels combats doit coûter la victoire,
Si vous en concevez la fatale rigueur,
Ne m’ôtez pas le fruit des peines de mon cœur.
C’est pour vous conserver les bontés de la reine,
Que j’ai voulu me rendre à moi-même inhumaine ;
De son amour pour vous elle m’a fait témoin,
Ménagez-en l’appui, vous en avez besoin.
Pour noircir, abaisser vos plus rares services,
Aux traits de l’imposture on joint mille artifices ;
Et l’honneur vous engage à ne rien oublier
Pour repousser l’outrage, & vous justifier.

Le Comte.

Et me justifier ? Moi ! Ma seule innocence
Contre mes envieux doit prendre ma défense,
D’elle-même on verra l’imposture avorter ;
Et je me ferois tort, si j’en pouvois douter.

La Duchesse.

Vous êtes grand, fameux, & jamais la victoire
N’a d’un sujet illustre assuré mieux la gloire ;