Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/463

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Mille ennemis secrets qui cherchent à vous nuire,
Attaquant votre gloire, auroient pû vous détruire,
Et d’un crime d’amour leur indigne attentat
Vous eût dans son esprit fait un crime d’état.
Pour ôter contre vous tout prétexte à l’envie,
J’ai dû vous immoler le repos de ma vie.
À votre sûreté mon hymen importoit,
Il falloit vous trahir, mon cœur y résistoit,
J’ai déchiré ce cœur afin de l’y contraindre ;
Plaignez-vous là-dessus, si vous osez vous plaindre.

Le Comte.

Oui, je me plains, Madame, & vous croyez en vain
Pouvoir justifier ce barbare dessein.
Si vous m’aviez aimé, vous auriez par vous-même
Connu que l’on perd tout, quand on perd ce qu’on aime.
Et que l’affreux supplice où vous me condamniez,
Surpassoit tous les maux dont vous vous étonniez.
Votre dure pitié, par le coup qui m’accable,
Pour craindre un faux malheur, m’en fait un véritable.
Et que peut me servir le destin le plus doux ?
Avois-je à souhaiter un autre bien que vous ?
Je méritois peut-être, en dépit de la reine,
Qu’à me le conserver vous prissiez quelque peine.
Un autre eût refusé d’immoler un amant,
Vous avez crû devoir en user autrement,
Mon cœur veut révérer la main qui le déchire,
Mais, encore une fois, j’oserai vous le dire,
Pour moi contre ce cœur votre bras s’est armé,
Vous ne l’auriez pas fait, si vous m’aviez aimé.

La Duchesse.

Ah ! Comte, plût au Ciel, pour finir mon supplice,
Qu’un semblable reproche eût un peu de justice !
Je ne sentirois pas avec tant de rigueur
Tout mon repos céder aux troubles de mon cœur.
Pour vous au plus haut point ma flamme étoit montée,
Je n’en dois point rougir, vous l’aviez méritée ;