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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/470

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ACTE II.



Scène I.

ÉLISABETH, TILNEY.
Élisabeth.

En vain tu crois tromper la douleur qui m’accable,
C’est parce qu’il me hait, qu’il s’est rendu coupable ;
Et la belle Suffolc refusée à ses vœux,
Lui fait joindre le crime au mépris de mes feux.
Pour le justifier, ne di point qu’il ignore
Jusqu’où va le poison dont l’ardeur me dévore.
Il a trop de ma bouche, il a trop de mes yeux,
Appris qu’il est, l’ingrat, ce que j’aime le mieux.
Quand j’ai blâmé son choix, n’étoit-ce pas lui dire
Que je veux que son cœur pour moi seule soupire ?
Et mes confus regards n’ont-ils pas expliqué,
Ce que par mes refus j’avois déjà marqué ?
Oui, de ma passion il sait la violence,
Mais l’exil de Suffolc l’arme pour sa vengeance ;
Au crime, pour lui plaire, il s’ose abandonner,
Et n’en veut à mes jours que pour la couronner.

Tilney.

Quelques justes soupçons que vous en puissiez prendre,
J’ai peine contre vous à ne le pas défendre.
L’état qu’il a sauvé, sa vertu, son grand cœur,
Sa gloire, ses exploits, tout parle en sa faveur.
Il est vrai qu’à vos yeux Suffolc cause sa peine ;
Mais, Madame, un sujet doit-il aimer sa reine ?
Et quand l’amour naîtroit, a-t-il à triompher
Où le respect plus fort combat pour l’étouffer ?