Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/478

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Elle est assez à moi pour me laisser en droit
De voir avec douleur l’affront qu’elle reçoit.
Si de quelque attentat vous avez à vous plaindre,
Si pour l’état tremblant la suite en est à craindre,
C’est à voir des flatteurs s’efforcer aujourd’hui,
En me rendant suspect, d’en abattre l’appui.

Élisabeth.

La fierté qui vous fait étaler vos services,
Donne de la vertu d’assez foibles indices ;
Et si vous m’en croyez, vous chercherez en moi
Un moyen plus certain…

Le Comte.

Un moyen plus certain…Madame, je le voi.
Des traîtres, des méchans accoutumés au crime,
M’ont par leurs faussetés arraché votre estime ;
Et toute ma vertu contre leur lâcheté
S’offre en vain pour garant de ma fidélité.
Si de la démentir j’avois été capable,
Sans rien craindre de vous, vous m’auriez vû coupable.
C’est au trône, où peut-être on m’eût laissé monter,
Que je me fusse mis en pouvoir d’éclater.
J’aurois, en m’élevant à ce degré sublime,
Justifié ma faute en commettant le crime ;
Et la ligue qui cherche à me perdre innocent,
N’eût vu mes attentats qu’en les applaudissant.

Élisabeth.

Et n’as-tu pas, perfide, armant la populace,
Essayé, mais en vain, de te mettre à ma place ?
Mon palais investi ne te convainc-t-il pas
Du plus grand, du plus noir de tous les attentats ?
Mais di-moi, car enfin le courroux qui m’anime
Ne peut faire céder ma tendresse à ton crime ;
Et si par sa noirceur je tâche à t’étonner,
Je ne te la fais voir que pour te pardonner.
Pourquoi vouloir ma perte, & qu’avoit fait ta reine
Qui dût à sa ruine intéresser ta haine ?