Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/479

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Peut-être ai-je pour toi montré quelque rigueur,
Lorsque j’ai mis obstacle au panchant de ton cœur.
Suffolc t’avoit charmé ; mais si tu peux te plaindre,
Qu’apprenant cet amour, j’ai tâché de l’éteindre,
Songe à quel prix, ingrat, & par combien d’honneurs,
Mon estime a sur toi répandu mes faveurs.
C’est peu dire qu’estime, & tu l’as pû connoître,
Un sentiment plus fort de mon cœur fut le maître.
Tant de princes, de rois, de héros méprisés,
Pour qui, cruel, pour qui les ai-je refusés ?
Leur hymen eût, sans doute, acquis à mon empire
Ce comble de puissance où l’on sait que j’aspire ;
Mais quoi qu’il m’assurât, ce qui m’ôtait à toi
Ne pouvoit rien avoir de sensible pour moi.
Ton cœur, dont je tenois la conquête si chere,
Étoit l’unique bien capable de me plaire ;
Et si l’orgueil du trône eût pû me le souffrir,
Je t’eusse offert ma main afin de l’acquérir.
Espere, & tâche à vaincre un scrupule de gloire,
Qui, combattant mes vœux, s’oppose à ta victoire.
Mérite par tes soins que mon cœur adouci
Consente à n’en plus croire un importun souci.
Fais qu’à ma passion je m’abandonne entiere,
Que cette Élisabeth si hautaine, si fiere,
Elle à qui l’univers ne sauroit reprocher
Qu’on ait vû son orgueil jamais se relâcher ;
Cesse enfin, pour te mettre où son amour t’appelle,
De croire qu’un sujet ne soit pas digne d’elle.
Quelquefois à céder ma fierté se résout ;
Que sais-tu si le temps n’en viendra pas à bout ?
Que sais-tu…

Le Comte.

Que sais-tu…Non, Madame, & je puis vous le dire,
L’estime de ma reine à mes vœux doit suffire ;
Si l’amour la portoit à des projets trop bas,
Je trahirois sa gloire à ne l’empêcher pas.