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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/488

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Et que de son arrêt blâmant l’indignité,
Tu crois qu’il soit injuste, ou trop précipité ?
Penses-tu, quand l’ingrat contre moi se déclare,
Qu’il n’ait pas mérité la mort qu’on lui prépare,
Et que je venge trop, en le laissant périr,
Ce que par ses dédains l’amour m’a fait souffrir ?

Tilney.

Que cet arrêt soit juste, ou donné par l’envie,
Vous l’aimez, cet amour lui sauvera la vie ;
Il tient vos jours aux siens si fortement unis,
Que par le même coup on les verroit finis.
Votre aveugle colere en vain vous le déguise,
Vous pleureriez la mort que vous auriez permise ;
Et le sanglant éclat qui suivroit ce courroux,
Vengeroit vos malheurs moins sur lui que sur vous.

Élisabeth.

Ah, cruelle ! Pourquoi fais-tu trembler ma haine ?
Est-ce une passion indigne d’une reine,
Et l’amour qui me veut empêcher de regner,
Ne se lasse-t-il point de se voir dédaigner ?
Que me sert qu’au dehors, redoutable ennemie,
Je rende par la paix ma puissance affermie,
Si mon cœur au-dedans tristement déchiré,
Ne peut jouïr du calme où j’ai tant aspiré ?
Mon bonheur semble avoir enchaîné la victoire,
J’ai triomphé par-tout, tout parle de ma gloire ;
Et d’un sujet ingrat, ma pressante bonté
Ne peut, même en priant, réduire la fierté.
Par son fatal arrêt plus que lui condamnée,
À quoi te résous-tu, Princesse infortunée ?
Laisseras-tu périr sans pitié, sans secours,
Le soutien de ta gloire, & l’appui de tes jours ?

Tilney.

Ne pouvez-vous pas tout ? Vous pleurez !

Élisabeth.

Ne pouvez-vous pas tout ? Vous pleurez !Oui, je pleure,
Et sens bien que s’il meurt, il faudra que je meure.