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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/489

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Ô vous, rois, que pour lui ma flamme a négligés,
Jetez les yeux sur moi, vous étes bien vengés ;
Une reine intrépide au milieu des alarmes,
Tremblante pour l’amour, ose verser des larmes.
Encor s’il étoit sûr que ces pleurs répandus,
En me faisant rougir, ne fussent pas perdus,
Que le lâche pressé du vil remords que donne…
Qu’en penses-tu ? Dis-moi, le plus hardi s’étonne ?
L’image de la mort, dont l’appareil est prêt,
Fait croire tout permis pour en changer l’arrêt.
Réduit à voir sa tête expier son offense,
Doutes-tu qu’il ne veuille implorer ma clémence,
Que sûr que mes bontés passent ses attentats…

Tilney.

Il doit y recourir ; mais, s’il ne le fait pas ?
Le comte est fier, Madame.

Élisabeth.

Le comte est fier, Madame.Ah ! Tu me désesperes.
Quoi qu’osent contre moi ses projets téméraires,
Dût l’état par ma chûte en être renversé,
Qu’il fléchisse, il suffit, j’oublierai le passé.
Mais, quand toute attachée à retenir la foudre,
Je frémis de le perdre, & tremble à m’y résoudre,
Si me bravant toujours il ose m’y forcer,
Moi reine, lui sujet, puis-je m’en dispenser ?
Sauvons-le malgré lui, parle, & fais qu’il te croie,
Voi-le, mais cache-lui que c’est moi qui t’envoie ;
Et ménageant ma gloire en t’expliquant pour moi,
Peins-lui mon cœur sensible à ce que je lui doi :
Fais-lui voir qu’à regret j’abandonne sa tête,
Qu’au plus foible remords sa grace est toute prête ;
Et si pour l’ébranler il faut aller plus loin,
Du soin de mon amour fais ton unique soin ;
Laisse, laisse ma gloire, & dis-lui que je l’aime,
Tout coupable qu’il est, cent fois plus que moi-même,