Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/491

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C’est l’état désolé, c’est votre cour en pleurs,
Qui perdant son appui, tremble de ses malheurs.
Je sai qu’en sa conduite il eut quelque imprudence,
Mais le crime toujours ne suit pas l’apparence ;
Et dans le rang illustre où ses vertus l’ont mis,
Estimé de la reine, il a des ennemis.
Pour lui, pour vous, pour nous, craignez les artifices
De ceux qui de sa mort se rendent les complices.
Songez que la clémence a toujours eu ses droits,
Et qu’elle est la vertu la plus digne des rois.

Élisabeth.

Comte de Salsbury, j’estime votre zéle,
J’aime à vous voir ami généreux & fidéle,
Et loue en vous l’ardeur que ce noble intérêt
Vous donne à murmurer d’un équitable arrêt.
J’en sens ainsi que vous une douleur extrême,
Mais je dois à l’état encor plus qu’à moi-même.
Si j’ai laissé du comte éclaircir le forfait,
C’est lui qui m’a forcée à tout ce que j’ai fait.
Prête à tout oublier, s’il m’avouoit son crime,
On le sait, j’ai voulu lui rendre mon estime ;
Ma bonté n’a servi qu’à redoubler l’orgueil,
Qui des ambitieux est l’ordinaire écueil.
Des soins qu’il m’a vû prendre à détourner l’orage,
Quoi que sûr d’y périr, il s’est fait un outrage.
Si sa tête me fait raison de sa fierté,
C’est sa faute, il aura ce qu’il a mérité.

Salsbury.

Il mérite, sans doute, une honteuse peine,
Quand sa fierté combat les bontés de sa reine.
Si quelque chose en lui vous peut, vous doit blesser,
C’est l’orgueil de ce cœur qu’il ne peut abaisser,
Cet orgueil qu’il veut croire au péril de sa vie ;
Mais pour être trop fier, vous a-t-il moins servie ?
Vous a-t-il moins montré dans cent & cent combats,
Que pour vous il n’est rien d’impossible à son bras ?
Par son sang prodigué, par l’éclat de sa gloire,
Daignez, s’il vous en reste encor quelque mémoire,