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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/494

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Que voulant abaisser ce courage invincible,
Vos efforts…

Élisabeth.

Vos efforts…Ah ! J’en sais un moyen infaillible ;
Rien n’égale en horreur ce que j’en souffrirai ;
C’est le plus grand des maux, peut-être j’en mourrai.
Mais si toujours d’orgueil son audace est suivie,
Il faudra le sauver aux dépends de ma vie ;
M’y voilà résolue. Ô vœux mal exaucés,
Ô mon cœur, est-ce ainsi que vous me trahissez ?

La Duchesse.

Votre pouvoir est grand, mais je connois le comte,
Il voudra…

Élisabeth.

Il voudra…Je ne puis le vaincre qu’à ma honte,
Je le sai ; mais enfin je vaincrai sans effort,
Et vous allez vous-même en demeurer d’accord.
Il adore Suffolc, c’est elle qui l’engage
À lui faire raison d’un exil qui l’outrage.
Quoi que coûte à mon cœur ce funeste dessein,
Je veux, je souffrirai qu’il lui donne la main ;
Et l’ingrat qui m’oppose une fierté rebelle,
Sûr enfin d’être heureux, voudra vivre pour elle.

La Duchesse.

Si par-là seulement vous croyez le toucher,
Apprenez un secret qu’il ne faut plus cacher.
De l’amour de Suffolc vainement alarmée,
Vous la punîtes trop, il ne l’a point aimée ;
C’est moi seule, ce sont mes criminels appas,
Qui surprirent son cœur que je n’attaquois pas.
Par devoir, par respect, j’eus beau vouloir éteindre
Un feu dont vous deviez avoir tant à vous plaindre.
Confuse de ses vœux, j’eus beau lui résister,
Comme l’amour se flatte, il voulut se flatter,
Il crut que la pitié pourroit tout sur votre ame,
Que le temps vous rendroit favorable à sa flamme ;
Et quoi qu’enfin pour lui Suffolc fût sans appas,
Il feignit de l’aimer pour ne m’exposer pas.