Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/507

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La Duchesse.

Cruel, est-ce donc peu qu’à moi-même arrachée,
À vos seuls intérêts je me sois attachée ?
Pour voir jusqu’où sur moi s’étend votre pouvoir,
Voulez-vous triompher encor de mon devoir ?
Il chancelle, & je sens qu’en ses rudes alarmes,
Il ne peut mettre obstacle à de honteuses larmes,
Qui de mes tristes yeux s’apprêtant à couler,
Auront pour vous fléchir plus de force à parler.
Quoiqu’elles soient l’effet d’un sentiment trop tendre,
Si vous en profitez, je veux bien les répandre.
Par ces pleurs que peut-être en ce funeste jour,
Je donne à la pitié beaucoup moins qu’à l’amour,
Par ce cœur pénétré de tout ce que la crainte
Pour l’objet le plus cher y peut porter d’atteinte ;
Enfin par ces sermens tant de fois répétés,
De suivre aveuglément toutes mes volontés,
Sauvez-vous, sauvez-moi du coup qui me menace.
Si vous êtes soumis, la reine vous fait grace ;
Sa bonté qu’elle est prête à vous faire éprouver,
Ne veut…

Le Comte.

Ne veut…Ah ! Qui vous perd, n’a rien à conserver.
Si vous aviez flatté l’espoir qui m’abandonne,
Si n’étant point à moi, vous n’étiez à personne,
Et qu’au moins votre amour moins cruel à mes feux
M’eût épargné l’horreur de voir un autre heureux,
Pour vous garder ce cœur où vous seule avez place,
Cent fois, quoiqu’innocent, j’aurois demandé grace ;
Mais vivre, & voir sans cesse un rival odieux…
Ah ! Madame, à ce nom je deviens furieux ;
De quelque emportement si ma rage est suivie,
Il peut être permis à qui sort de la vie.

La Duchesse.

Vous sortez de la vie ? Ah ! Si ce n’est pour vous,
Vivez pour vos amis, pour la reine, pour tous,
Vivez pour m’affranchir d’un péril qui m’étonne ;
Si c’est peu de prier, je le veux, je l’ordonne.