Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/524

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Mais de vos sens séduits c’est trop croire l’erreur,
Que de le préférer au fils d’un empereur.
Constantin vous offrant l’empire de la Grece,
Méritoit pour ce fils toute votre tendresse,
Il vous l’a demandée, & ses ambassadeurs
Ont long-temps combattu vos injustes froideurs.
Cependant c’est en vain que Léon vient en France,
Qu’il rend toute la Cour témoin de sa constance,
Vous dédaignez ses vœux ; & les loix du devoir
Pour vous faire obéir demeurent sans pouvoir.
Qu’a donc fait ce Roger de si digne de plaire,
Qu’au diadême, à tout, votre amour le préfere ?
Par quels soins, quels devoirs a-t-il pû vous charmer ?

Bradamante.

Il m’aime, & c’est assez pour me le faire aimer,
Mille & mille vertus, dont l’éclat l’environne,
L’emportent sur celui dont brille une couronne.
Pour un cœur noble et grand, la gloire a des appas
Que sans un nom fameux le plus haut rang n’a pas.

Doralise.

Mais Aimon votre pere à cet amour s’oppose ?

Bradamante.

Cet amour, je l’avoue, à son courroux m’expose ;
Mais lors qu’autorisés à disposer de moi,
Mes freres à Roger engagerent ma foi,
Satisfait de leur choix, il l’apprit sans colere ;
Et parce que Léon met ses soins à me plaire,
Qu’il m’offre un diadême, il faut, pour l’accepter,
Trahir mille sermens que je dois respecter ?
De cette lâcheté mon cœur est incapable.

Doralise.

Où l’amour est parfait, l’inconstance est blâmable ;
Mais je voudrois savoir par où vous présumez
Que vous êtes aimée autant que vous aimez.
Roger qui par Léon voit traverser sa flamme,
S’abandonne aux fureurs qui possédent son ame,
Il part, il doit en Grece aller sur son rival
Jusqu’au milieu des siens, porter le coup fatal.