Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/525

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Cependant ce Roger qu’on veut qui vous adore,
Cache ce qu’il devient, & Léon vit encore.

Bradamante.

Cruelle, n’ai-je point d’assez vives douleurs ?
Quel plaisir te fais-tu de voir couler mes pleurs ?
Roger… Ah, quel surcroît aux maux dont je soupire !
Sans doute il ne vit plus puisque Léon respire ;
C’est en vain que je cherche à douter de son sort,
Les jours de son rival m’assurent de sa mort.

Doralise.

Elle auroit fait éclat ; jamais un long silence
D’un guerrier tel que lui n’a trahi l’espérance,
S’il meurt, c’est en héros qu’il termine ses jours ;
Mais croyez-moi, Madame, il suit d’autres amours,
Et tâche de cacher dans une obscure vie
La honte qu’il se fait de vous avoir trahie.
Sans cela pensez-vous qu’il vous pût oublier ?
Il sait ce qu’en tous lieux on a fait publier,
Que qui pourra sur vous remporter la victoire,
Du nom de votre époux doit espérer la gloire ;
Tantôt contre Léon le champ doit être ouvert.
Pourquoi ne prendre pas un diadême offert,
Et vouloir nous réduire aux mortelles alarmes
Que nous donne pour vous le sort douteux des armes ?
Vous pouvez y périr, Léon est renommé.

Bradamante.

Je le sai, son courage est partout estimé,
Mais à ce que je suis ta crainte fait injure,
Je combats pour Roger, la victoire m’est sûre ;
Et ce bras, toujours prêt à soutenir ma foi,
Fera voir que lui seul était digne de moi.

Doralise.

Si je ne craignois pas… Mais Léon qui s’avance
Mieux que moi là-dessus vous dira ce qu’il pense.