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Roger.

Encore un coup, Seigneur, l’amitié trop facile
Vous fait croire de moi…

Léon.

Vous fait croire de moi…L’excuse est inutile,
Je n’écoute plus rien, & vais faire apprêter
Les armes que mon nom vous engage à porter.



Scène VI.

ROGER seul.

Non, tout ce que du ciel la plus forte colere
Contre un homme odieux est capable de faire,
Ne sauroit approcher de l’affreuse douleur
Où me tient abîmé l’excès de mon malheur.
Quoi donc ? Il faut tourner mon bras contre moi-même,
Il faut pour mon rival m’arracher ce que j’aime ?
Ma raison m’abandonne, & dans ce dur revers,
Interdit, accablé, je m’égare & me perds.
Ô promesse, ô parole imprudemment donnée !
Infortuné Roger, remplis ta destinée,
Renonce à ton amour, & trop parfait ami
Va rendre de Léon le bonheur affermi ;
Va combattre, & gagnant une indigne victoire,
Aspire à te couvrir d’une honteuse gloire.
Ton nom sera fameux, lorsqu’un combat fatal
T’aura fait triompher pour servir ton rival.
Tu vaincras ? Ah ! Plûtôt, va mourir, & présente
Ton cœur, ton triste cœur au fer de Bradamante.
Par ton sang répandu, c’est à toi d’expier
Le serment qui t’engage à la sacrifier.
Lors qu’à vaincre Léon son courage s’apprête,
C’est pour se réserver à se voir ta conquête,