Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/573

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Et reprenant ma foi, je veux bien m’engager
À n’en disposer pas en faveur de Roger.
Je n’examine point s’il peut encor prétendre
Aux douceurs d’un panchant que j’eus pour lui trop tendre.
Libre à le suivre un jour sur le choix d’un époux,
Peut-être ce panchant me parlera pour vous.
Vous devant une estime & parfaite & sincere,
Je me dirai qu’en tout vous m’aurez voulu plaire :
Et de moi-même enfin triomphant à mon tour,
Je pourrai de l’estime aller jusqu’à l’amour ;
Mais il faut que le temps m’y conduise, m’y mene.
En l’état où je suis, inquiéte, incertaine,
Voyant votre victoire avec des yeux jaloux,
Je sens bien que mon cœur n’est point digne de vous ;
Laissez-le s’affranchir d’un reste de foiblesse
Dont ma fierté si-tôt ne peut être maîtresse.
Quand les yeux mieux ouverts sur ce que je vous doi…

Léon.

Non, Madame, le temps ne feroit rien pour moi ;
Puisque toute la cour attend votre hyménée,
Remplissons les décrets de notre destinée,
Suivons sans différer ce qu’elle a resolu.

Roger.

Ah, ciel !

Bradamante.

Ah, ciel !Vous vous servez du pouvoir absolu.
Je ne le puis nier, mon malheur vous le donne.
Vous vous êtes acquis des droits sur ma personne ;
Mais peut-être il n’est pas d’un généreux vainqueur,
De vouloir une main que ne suit pas le cœur.

Léon.

Comme en ce que je fais la gloire m’autorise,
J’espere que le cœur suivra la foi promise.
Le vainqueur vous obtient, n’en prenez point d’ennui,
Ce vainqueur est Roger, & vous étes à lui.