Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/58

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La conquête pouvoit en être plus facile,
Pyrrhus le valoit bien, il étoit fils d’Achille,
D’un père si fameux les exploits éclatants
Répondoient de sa gloire, et prévenoient le temps.
Je ne sais si l’amour doit passer pour un crime
Quand l’honneur, le devoir, le rendent légitime,
Aux volontés d’un père ils ont su m’attacher,
Le défaut n’est pas grand pour me le reprocher.

ACHILLE

Mais vous l’aimez encor ce Pyrrhus, et votre âme
Malgré mes vœux offerts est sensible à sa flamme.

POLIXÈNE

Quand ce soupir, hélas ! n’en seroit pas l’aveu,
Un moment suffit-il pour éteindre un beau feu,
Et pourrois-je sitôt, malgré votre espérance,
Vous répondre pour lui de mon indifférence ?
Je puis avoir trop cru le penchant de mon cœur,
Mais des soins de Pyrrhus quand j’ai chéri l’ardeur,
Je ne prévoyois pas que trop prompt à vous rendre
Vous dussiez condamner l’amour qu’il m’a fait prendre,
Que vous pussiez vouloir en combattre l’appas,
Et peut-être, Seigneur, ne le voudrez vous pas.
Vous vous reprocherez la barbare injustice
De séparer deux cœurs que tout veut qu’on unisse,
Deux cœurs du même feu dés longtemps enflammés,
Et que l’amour exprès l’un pour l’autre a formés.
Vous vous reprocherez de vouloir…

ACHILLE

Non, Madame,
Si j’avois de Pyrrhus autorisé la flamme
Je me reprocherois la barbare rigueur
De m’être fait pour lui l’ennemi de mon cœur.
Il ne sauroit souffrir, ce cœur qui vous adore,
Que vous ayez aimé, que vous aimiez encore,
Cette image le tue, et vous croyez en vain
Qu’il cède à mon rival le don de votre main.