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Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/61

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Scène III


Achille, Briseis, Phénice, Alcime.

BRISEIS

Enfin, il se peut donc qu’Achille me trahisse,
Que son cœur sans remords succombe à l’injustice,
Et qu’un nouvel amour écouté d’aujourd’hui
Triomphe du pouvoir qu’il me donna sur lui.
Ce honteux changement, encor qu’inexcusable,
En tout autre du moins m’auroit paru croyable,
La froideur, le dégoût, et l’oubli des serments
Ne sont que trop communs aux vulgaires Amants.
Mais qu’une âme élevée au dessus d’elle-même,
Qu’Achille se résolve à trahir ce qu’il aime,
Qu’il s’ose montrer foible, ingrat, lâche, sans foi,
Qu’il renonce à l’honneur, c’est un monstre pour moi.

ACHILLE

Madame, avec plaisir je garde en ma mémoire,
Que je vous ai promis d’assurer votre gloire,
Je vous tiendrai parole, et pour vous couronner
Pyrrhus dans vos États ira vous ramener.
Il a l’ordre, daignez accepter sa conduite.

BRISEIS

Pyrrhus a l’ordre ! hélas, où me vois-je réduite !
L’amour le veut, il faut vous défaire de nous,
Vous fuyez des témoins trop à craindre pour vous,
Vous fuyez des regards dont le sanglant reproche
Troubleroit le bonheur que vous voyez si proche.
Pour me sauver du coup qui doit m’assassiner,
N’avez-vous, inhumain, qu’un trône à me donner ?
Si ce charme eût trouvé le foible de mon âme
J’aurois d’Agamemnon favorisé la flamme,