Page:T. Corneille - Poèmes dramatiques, tome 5, 1748.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Je suis de la maison depuis plus de vingt ans.
Je vous ai dirigée, & par-là je prétens…

Isabelle.

Va, ta direction aura son plein salaire.
Ne crains rien ; mais dis-moi, je reviens à ce frere.
Si Dom Lope est ici, pourquoi ne vient-il pas ?

Béatrix.

Peut-être il craint encor le bon-homme ; en ce cas,
Il cherche quelque ami par qui pouvoir apprendre,
Après son fol hymen, l’accueil qu’il doit attendre.
Enlever une fille & sans nom & sans bien…

Isabelle.

Je n’avois que cinq ans, & me souviens fort bien
Que mon pere apprenant qu’ils avoient pris la fuite,
En fit faire par tout une exacte poursuite.
C’étoit fait de Dom Lope, il n’étoit plus son fils.

Béatrix.

Aussi pendant dix ans n’en a-t-on rien appris,
Mais enfin étant veuf, il a demandé grace ;
Sa femme étoit son crime, elle est morte, il s’efface.
Les Lettres l’ont de loin assuré du pardon.
Je croi le voir encor ; il avoit l’air si bon.
C’étoit un de ces gens qu’on ne peut voir, sans prendre,
Dès la premiere fois, je ne sai quoi de tendre.
Son malheur fut d’aimer un peu trop fortement.
Qu’est-ce donc ? Vous voilà tout je ne sai comment ?

Isabelle.

Tu me fais réfléchir sur ce que je hazarde.
C’est au bien seulement que mon pere prend garde.
L’époux qu’on me promet, peut n’être pas de ceux
Qui font parler d’abord leur mérite pour eux.
Mon cœur n’ose m’en faire une aimable peinture ;
Et s’il faut t’expliquer ce que je m’en figure,
Avec un tel exces la fortune lui rit,
Qu’il me trompera fort, s’il est riche en esprit.
Le bien fait de grands sots.