Page:Tableau de la france géographie physique politique et morale 1875.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
19
TABLEAU DE LA FRANCE


Ce génie mixte et contradictoire a empêché le Poitou de rien achever ; il a tout commencé. Et d’abord la vieille ville romaine de Poitiers, aujourd’hui si solitaire, fut, avec Arles et Lyon, la première école chrétienne des Gaules. Saint Hilaire a partagé les combats d’Athanase pour la divinité de Jésus-Christ. Poitiers fut pour nous, sous quelques rapports, le berceau de la monarchie, aussi bien que du christianisme. C’est de sa cathédrale que brilla pendant la nuit la colonne de feu qui guida Clovis contre les Goths. Le roi de France était abbé de Saint-Hilaire de Poitiers, comme de Saint-Martin de Tours. Toutefois cette dernière église, moins lettrée, mais mieux située, plus populaire, plus féconde en miracles, prévalut sur sa sœur aînée. La dernière lueur de la poésie latine avait brillé à Poitiers avec Fortunat ; l’aurore de la littérature moderne y parut au XIIe siècle ; Guillaume VII est le premier troubadour. Ce Guillaume, excommunié pour avoir enlevé la vicomtesse de Châtellerault, conduisit, dit-on, cent mille hommes à la terre sainte[1], mais il emmena aussi la foule de ses maîtresses[2]. C’est de lui qu’un vieil auteur dit : « Il fut bon troubadour, bon chevalier d’armes, et courut longtemps le monde pour tromper les dames. » Le Poitou semble avoir été alors un pays de libertins spirituels et de libres penseurs. Gilbert de la Porée, né à Poitiers, et évêque de cette ville, collègue d’Abailard à l’école de Chartres, enseigna avec la même hardiesse, fut comme lui attaqué par saint Bernard, se rétracta comme lui, mais ne se releva pas comme le logicien breton. La philosophie poitevine naît et meurt avec Gilbert.

La puissance politique du Poitou n’eut guère meilleure destinée. Elle avait commencé au IXe siècle par la lutte

  1. Il arriva avec six hommes devant Antioche.
  2. L’évêque d’Angoulême lui disait : « Corrigez-vous ; » le comte lui répondit : « Quand tu te peigneras. » L’évêque était chauve.