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Page:Tableau de la france géographie physique politique et morale 1875.djvu/71

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TABLEAU DE LA FRANCE


Mais la musique et l’architecture sont trop abstraites encore. Ce n’est pas assez de ces sons, de ces formes ; il faut des couleurs, de vives et vraies couleurs, des représentations vivantes de la chair et des sens. Il faut dans les tableaux de bonnes et rudes fêtes, où des hommes rouges et des femmes blanches boivent, fument et dansent lourdement[1]. Il faut des supplices atroces, des martyrs indécents et horribles, des Vierges énormes, fraîches, grasses, scandaleusement belles. Au delà de l’Escaut, au milieu des tristes marais, des eaux profondes, sous les hautes digues de Hollande, commence la sombre et sérieuse peinture ; Rembrandt et Gérard Dow peignent où écrivent Érasme et Grotius[2]. Mais dans la Flandre, dans la riche et sensuelle Anvers, le rapide pinceau de Rubens fera les bacchanales de la peinture. Tous les mystères seront travestis[3] dans ses tableaux idolâtriques qui frissonnent encore de la fougue et de la brutalité du génie[4]. Cet homme

  1. Voy. au Musée du Louvre le tableau intitulé : Fête Flamande. C’est la plus effrénée et la plus sensuelle bacchanale.
  2. Selon moi, la haute expression du génie belge, c’est pour la partie flamande, Rubens, et pour la wallonne ou celtique, Grétry. La spontanéité domine en Belgique, la réflexion en Hollande. Les penseurs ont aimé ce dernier pays. Descartes est venu y faire l’apothéose du moi humain, et Spinosa, celle de la nature. Toutefois la philosophie propre à la Hollande, c’est une philosophie pratique qui s’applique aux rapports politiques des peuples : Grotius.
  3. Son élève, Van-Dyck, peint dans un de ses tableaux un âne à genoux devant une hostie.
  4. Nous avons ici la belle suite des tableaux commandés à Rubens par Marie de Médicis, mais cette peinture allégorique et officielle ne donne pas l’idée de son génie. C’est dans les tableaux d’Anvers et de Bruxelles que l’on comprend Rubens. Il faut voir à Anvers la Sainte Famille, où il a mis ses trois femmes sur l’autel, et lui, derrière, en saint Georges, un drapeau au poing et les cheveux au vent. Il fit ce grand tableau en dix-sept jours. — Sa Flagellation est horrible de brutalité ; l’un des flagellants, pour frapper plus fort, appuie le pied sur le mollet du Sauveur ; un autre regarde par dessous sa main, et rit au nez du spectateur. La copie de Van-Dyck semble bien pâle à côté du tableau original. Au Musée de Bruxelles, il y a le Portement de Croix, d’une vigueur et d’un mouvement qui va au vertige. La Madeleine