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forfait à la vérité, et qu’une autre notable portion de son œuvre consiste dans une analyse, assez crue, des écrits de ses devanciers. C’est une singulière histoire que l’Histoire de M. Sulte ; il publie de longues listes de noms et prénoms et nous promet d’y insérer, tout rond, le recensement nominal de 1665. Tant mieux, après tout, c’est autant qu’il n’écrira pas ; mais, à ce train là, il pourrait n’en jamais finir, et ce n’est plus de l’histoire. On voit par là, qu’il y a peu de nouveau dans le livre de M. Sulte ; et ce peu de nouveau est justement ce qui n’est pas bon.

De même que notre auteur a sa marotte, de même, il a son cauchemar : ce cauchemar, c’est la Compagnie de Jésus. Pour un homme qui vous promet de la nouveauté, c’est faire preuve d’une impuissance radicale que de s’attaquer aux Jésuites ; car rien au monde n’est moins nouveau. Les Jésuites ont toujours été, comme la doctrine qu’ils prêchent, un scandale pour les Juifs et une folie pour les gentils : ils ont l’honneur d’une grosse part de la haine que le divin Maître annonçait à ses apôtres.

En terminant le chapitre x de son troisième volume, M. Sulte dit :

« Dans l’espace des vingt années qui viennent de s’écouler, pas moins de quinze volumes ont été mis devant les lecteurs, parlant toujours et à et tout propos de ces dix ou douze victimes volontaires du zèle religieux. Les Canadiens, moins vantards, ne font pas tant de tapage dans la presse. Il est vrai qu’ils ont été conduits à la boucherie malgré eux et qu’ils n’ont pu se venger, durant tout le temps du régime français, que par le mépris dont ils ont accablé les Jésuites. La légende, défigurée et grossie, remplace à présent l’histoire. »

Occupons-nous d’abord du drôle, l’odieux vient toujours assez tôt. Quand, dans le livre dont il est question, on trouve écrit : — nous — les Canadiens — les habitants il faut toujours lire : — moi, Benjamin Sulte ; c’est un kéri perpétuel. Donc, les Jésuites sont des vantards. M. Sulte ne fait pas « tant de tapage dans la presse », lui. Le fait est qu’il lui répugne de se produire. C’est à tort qu’on l’a nommé le largo al fac totum de la correspondance.

J’aime les anecdotes, ça peint les personnages et les situations. Un habitant de Lot-et-Garonne (il y en a là comme ailleurs de toutes les espèces), récemment arrivé à Paris, vint un jour aux Champs-Élysées, s’asseoir sur un banc déjà en partie occupé par un vieil employé de ministère qui, au sortir du bureau, était à prendre son bain d’air et de soleil. L’homme du Sud ne tarda pas à lier conversation ; mais il débitait, d’un air si assuré, sur la capitale de la France, de telles ineffabilités, que le vieux bureaucrate, se riant en dedans, lui dit d’un ton narquois :

— Monsieur n’est à Paris que depuis peu de jours, sans doute ?