Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/133

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la mort de Germanicus. D’un autre côté on entendait le peuple crier, aux portes de l’assemblée, "qu’il ferait justice lui-même, si les suffrages du sénat épargnaient le coupable." Déjà les statues de Pison, traînées aux Gémonies, allaient être mises en pièces, si le prince ne les eût fait protéger et remettre à leurs places. Pison remonta en litière et fut reconduit par un tribun des cohortes prétoriennes ; ce qui fit demander si cet homme le suivait pour garantir sa vie ou pour présider à sa mort.

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Plancine, non moins odieuse, avait plus de crédit aussi ne savait-on pas jusqu’à quel point le prince serait maître de son sort. Elle-même, tant que Pison eut encore de l’espoir, protesta "qu’elle suivrait sa destinée, prête, s’il le fallait, à mourir avec lui." Lorsque, par la secrète intercession de Livie, elle eut obtenu sa grâce, elle se détacha peu à peu de son époux et ne plaida plus que sa propre cause. L’accusé comprit ce que cet abandon avait de sinistre : incertain s’il tenterait un dernier effort, il cède aux exhortations de ses fils, s’arme de courage et reparaît dans le sénat. Là il entendit répéter l’accusation ; il essuya les invectives des sénateurs, leurs cris de haine et de vengeance ; et rien cependant ne l’effraya plus que de voir Tibère impassible, sans pitié, sans colère, fermant son âme à toutes les impressions. De retour chez lui, Pison feint de préparer une défense pour le lendemain, écrit quelques lignes, et les remet cachetées à un affranchi. Ensuite il donne à son corps les soins accoutumés, et, bien avant dans la nuit, sa femme étant sortie de l’appartement, il fait fermer la porte. Au lever du jour, on le trouva égorgé ; son épée était par terre à côté de lui.

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Je me souviens d’avoir entendu raconter à des vieillards qu’on vit plusieurs fois, dans les mains de Pison, des papiers dont il ne divulgua point le secret, mais qui, au dire de ses amis, contenaient des lettres et des instructions de Tibère contre Germanicus. "Il avait résolu, dit-on, de les lire en plein sénat et d’accuser le prince, si Séjan ne l’eut amusé par de vaines promesses. Enfin il ne se tua pas lui-même : un meurtrier lui fut dépêché." Je ne garantis ni l’un ni l’autre de ces faits ; cependant je n’ai pas dû supprimer une tradition dont les auteurs vivaient encore dans ma jeunesse. Tibère, avec une tristesse affectée, se plaignit devant le sénat d’une mort qui avait pour but de lui attirer des haines ; ensuite il questionna beaucoup l’affranchi sur le dernier jour, sur la dernière