Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/150

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grandes journées sur Augustodunum : les porte-enseigne disputaient de vitesse ; le soldat impatient ne voulait ni du repos accoutumé, ni des longues haltes de la nuit : "qu’il vît seulement l’ennemi, qu’il en fût aperçu, c’était assez pour vaincre." À douze milles d’Augustodunum, on découvrit dans une plaine les troupes de Sacrovir. Il avait mis en première ligne ses hommes bardés de fer, ses cohortes sur les flancs, et par derrière des bandes à moitié armées. Lui-même, entouré des principaux chefs, parcourait les rangs sur un cheval superbe, rappelant les anciennes gloires des Gaulois, les coups terribles qu’ils avaient portés aux Romains, combien la liberté serait belle après la victoire, mais combien, deux fois subjugués, leur servitude serait plus accablante.

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Il parla peu de temps et fut écouté avec peu d’enthousiasme : nos légions s’avançaient en bataille, et cette multitude sans discipline et sans expérience de la guerre ne pouvait plus rien voir ni rien entendre. De son côté Silius, à qui l’assurance du succès permettait de supprimer les exhortations, s’écriait cependant "qu’un ennemi comme les Gaulois devait faire honte aux conquérants de la Germanie. Une cohorte vient d’écraser le Turonien rebelle ; une aile de cavalerie a réduit les Trévires, et quelques escadrons de notre armée ont battu les Séquanes : plus riches et plus adonnés aux plaisirs, les Éduens sont encore moins redoutables. Vous êtes vainqueurs ; songez à poursuivre." L’armée répond par un cri de guerre. La cavalerie investit les flancs de l’ennemi, l’infanterie attaque le front. Il n’y eut point de résistance sur les ailes ; mais les hommes de fer, dont l’armure était à l’épreuve de l’épée et du javelot, tinrent quelques instants. Alors le soldat, saisissant la hache et la cognée comme s’il voulait faire brèche à une muraille, fend l’armure et le corps qu’elle enveloppe ; d’autres, avec des leviers ou des fourches, renversent ces masses inertes, qui restaient gisantes comme des cadavres, sans faire aucun effort pour se relever. Sacrovir se retira d’abord à Augustodunum ; ensuite, craignant d’être livré, il se rendit, avec les plus fidèles de ses amis, à une maison de campagne voisine. Là il se tua de sa propre main : les autres s’ôtèrent mutuellement la vie ; et la maison, à laquelle ils avaient mis le feu, leur servit à tous de bûcher.

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Alors seulement Tibère écrivit au sénat pour lui annoncer le commencement et la fin de la guerre. Il en parlait sans rien taire, sans rien exagérer. "Du reste, ajoutait-il, le dévouement