Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/161

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de noblesse ou d’avilissement, persuadé que le principal objet de l’histoire est de préserver les vertus de l’oubli, et d’attacher aux paroles et aux actions perverses la crainte de l’infamie et de la postérité. Au reste, dans ce siècle infecté d’adulation et de bassesse, la contagion ne s’arrêtait pas aux premiers de l’État, qui avaient besoin de cacher un nom trop brillant sous l’empressement de leurs respects : tous les consulaires, une grande partie des anciens préteurs, et même beaucoup de sénateurs obscurs, se levaient à l’envi pour voter les flatteries les plus honteuses et les plus exagérées. On raconte que Tibère, chaque fois qu’il sortait du sénat, s’écriait en grec : "O hommes prêts à tout esclavage ! " Ainsi, celui même qui ne voulait pas de la liberté publique ne voyait qu’avec dégoût leur servile et patiente abjection.

Procès de C. Silanus, proconsul d’Asie

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De la bassesse, un insensible progrès les menait à la cruauté. C. Silanus, proconsul d’Asie, était dénoncé par la province comme concussionnaire ; le consulaire Mamercus Scaurus, le préteur Junius Otho, l’édile Brutidius Niger, s’emparent de cette victime, et l’accusent d’avoir offensé la divinité d’Auguste, manqué de respect à la majesté de Tibère. Mamercus, s’autorisant d’illustres exemples, citait L. Cotta, accusé par Scipion l’Africain, Serv. Galba par Caton le Censeur, P. Rutilius par M. Scaurus ; comme si c’étaient des crimes de cette espèce qu’eussent poursuivis et Scipion, et Caton, et cet ancien Scaurus que son arrière-petit-fils Mamercus, l’opprobre de ses aïeux, déshonorait par l’infamie de ses œuvres. Junius Otho avait été d’abord maître d’école : devenu sénateur par le crédit de Séjan, il cherchait à pousser, à force d’impudence et d’audace, une fortune sortie du néant. Brutidius, rempli de belles qualités, pouvait, en suivant le droit chemin, arriver à la situation la plus brillante ; mais une impatiente ambition le sollicitait à surpasser d’abord ses égaux, puis ceux d’un rang supérieur, enfin ses propres espérances. Et la même cause a fait la ruine de bien des hommes, d’ailleurs estimables, qui, dédaignant une élévation tardive et sans péril, courent, au risque de se perdre, à des succès prématurés.

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Gellius Publicola et M. Paconius grossirent le nombre des accusateurs : le premier était questeur de Silanus, l’autre son lieutenant. Il ne paraissait pas douteux que ce proconsul ne fût coupable d’exactions et de violences ; mais l’orage amassé sur sa tête eût fait trembler l’innocence elle-même. À tant de sénateurs ligués contre lui, aux plus habiles orateurs de l’Asie entière,