Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/162

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choisis pour l’accuser, il fallait qu’il répondît seul, sans connaître l’art de la parole, et cela dans un danger personnel, circonstance qui intimide l’éloquence la mieux exercée. Et Tibère l’accablait encore de sa voix, de ses regards, le pressant de questions multipliées, sans qu’il lui fût permis de rien éluder, de rien combattre : souvent même il était contraint d’avouer, pour que le prince n’eût pas interrogé vainement. En outre, un agent du fisc avait acheté les esclaves de Silanus, afin qu’on pût les mettre à la torture  ; et, de peur qu’un ami généreux ne vînt à son secours, l’accusation de lèse-majesté, supplément aux autres griefs, enchaînait le zèle et faisait du silence une nécessité. Aussi, après avoir demandé une remise de quelques jours, Silanus abandonna sa propre défense : il hasarda toutefois une lettre à César, où il mêlait la plainte aux prières.

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Tibère, afin de pallier, à la faveur d’un exemple, l’odieux du traitement qu’il préparait à Silanus, fit lire un mémoire de l’empereur Auguste au sujet de Volésus Messala, aussi proconsul d’Asie, et un sénatus-consulte rendu contre ce magistrat. Ensuite il demanda l’avis de Lucius Piso. Celui-ci, après un éloge pompeux de la clémence du prince, proposa d’interdire à l’accusé le feu et l’eau, et de le reléguer dans l’île de Gyare. Les autres furent du même avis : seulement Cn. Lentulus ajouta que, Silanus étant né d’une mère sans reproche, il était juste d’excepter de la confiscation ses biens maternels et de les rendre à son fils ; ce qui fut approuvé de Tibère. Cornelius Dolabella voulut pousser plus loin l’adulation : il commença par censurer les mœurs de Silanus ; puis il demanda que nul homme d’une vie scandaleuse et d’une réputation décriée ne pût obtenir un gouvernement, exclusion dont le prince serait juge. "En effet, disait-il, si les lois punissent les délits, n’y aurait-il pas bienveillance pour les candidats, avantage pour les provinces, à faire en sorte qu’il ne s’en commît point ? "

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Tibère combattit cette proposition. Il dit "qu’il n’ignorait pas ce que la renommée publiait de Silanus ; mais que la renommée ne devait pas être la règle de nos jugements ; que beaucoup de gouverneurs avaient agi, dans leurs provinces, autrement qu’on ne l’avait craint ou espéré ; que certaines âmes s’élevaient avec la fortune, et devenaient meilleures où d’autres perdaient leur vertu ; qu’il était impossible que le prince connût tout par lui-même, dangereux qu’il se laissât