Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/200

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Rome. J’ai suivi la tradition la plus accréditée en attribuant son départ aux artifices de Séjan. Mais, comme il vécut encore six ans dans la solitude après le supplice de cet homme, peut-être, sans chercher ses motifs hors de lui-même, les trouverait-on dans le besoin d’un séjour qui cachât ce que ses actions affichaient, ses vices et sa cruauté. Plusieurs ont pensé que, dans sa vieillesse, son extérieur même lui causait quelque honte. Sa haute taille était grêle et courbée, son front chauve, son visage semé de tumeurs malignes, et souvent tout couvert d’emplâtres. D’ailleurs il s’était accoutumé, dans sa retraite de Rhodes, à fuir les réunions et à renfermer ses débauches. On dit encore que ce fut l’humeur impérieuse de sa mère qui le chassa de Rome. Il en coûtait à son orgueil de l’admettre au partage du pouvoir, et il n’osait l’en exclure, parce que ce pouvoir était un présent de ses mains. Car Auguste avait eu l’idée de laisser l’empire à Germanicus, petit-fils de sa sœur et objet des louanges universelles. Mais, vaincu par les prières de sa femme, il prit Tibère pour fils et donna Germanicus à Tibère. Voilà ce que reprochait Augusta, ce qu’elle redemandait.

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Une suite peu nombreuse accompagna le prince : un seul sénateur, homme consulaire et profond jurisconsulte, Coccéius Nerva30 ; Séjan, et un autre chevalier romain du premier rang, Curtius Atticus ; enfin quelques gens de lettres, la plupart Grecs, dont l’entretien amuserait ses loisirs. Les astrologues prétendirent que Tibère était sorti de Rome sous des astres qui ne lui promettaient pas de retour ; prédiction fatale à plusieurs, qui crurent sa fin prochaine et en semèrent le bruit. Ils étaient loin de prévoir la chance, incroyable en effet, que, de son plein gré, il se priverait onze ans de sa patrie. La suite fit voir combien dans cet art l’erreur est près de la science, et de quels nuages la vérité s’y montre enveloppée. L’annonce qu’il ne rentrerait plus dans la ville n’était pas vaine ; le reste trompa tous les calculs, puisque, habitant tour à tour quelque campagne ou quelque rivage près de Rome, souvent même établi au pied de ses murailles, il parvint à une extrême vieillesse.

30. L’aïeul de l’empereur Nerva.

Séjan sauve la vie de Tibère

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Vers ce temps-là, un accident qui mit sa vie en danger accrédita ces frivoles conjectures et augmenta sa confiance dans l’amitié et l’intrépidité de Séjan. Ils soupaient dans une