Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/255

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une forteresse dans le pays. En même temps, il envoyait des émissaires chez les grands Cauques pour les solliciter à se soumettre, et pour tramer secrètement la perte de Gannascus. La ruse fut employée avec, succès et sans honte contre un déserteur et un parjure. Mais la mort de ce chef irrita les Cauques ; et Corbulon jetait parmi eux des semences de révolte. Aussi, reçues par le plus grand nombre avec enthousiasme, ces nouvelles inspiraient à quelques-uns des réflexions sinistres : "Pourquoi provoquer l’ennemi ? les revers pèseront sur la république, les succès sur leur auteur. La paix s’effraye des noms éclatants, et un prince sans courage en est importuné." Claude empêcha si bien toute entreprise nouvelle contre la Germanie, qu’il fit ramener les garnisons en deçà du Rhin.

Corbulon campait déjà sur le territoire ennemi, lorsqu’il reçut cet ordre. A ce coup soudain, l’esprit combattu de mille pensées diverses, et craignant tout ensemble la colère de l’empereur, le mépris des barbares, les railleries des alliés, il ne prononça pourtant que ce peu de mots : "Heureux autrefois les généraux romains ! " et il donna le signal de la retraite. Toutefois, pour arracher les soldats à l’oisiveté, il fit creuser entre la Meuse et le Rhin un canal de vingt-trois milles, destiné à donner une issue aux débordements de l’océan. Claude, qui lui avait refusé l’occasion de vaincre, lui accorda cependant les ornements du triomphe. Bientôt après, Curtius Rufus obtint le même honneur pour avoir fait ouvrir une mine d’argent dans le pays de Mattium10, entreprise qui rapporta peu et pendant peu de temps, mais qui coûta cher aux légions, condamnées à creuser des tranchées souterraines et à faire dans ces abîmes des travaux déjà pénibles à la clarté des cieux. Rebutés de tant de fatigues, et voyant qu’on endurait les mêmes maux dans d’autres provinces, les soldats composèrent secrètement une lettre, par laquelle l’empereur était prié, au nom des armées, d’accorder d’avance aux généraux qu’il nommerait les décorations triomphales.

10. Dans la Germanie, au delà du Rhin.

A Rome

Curtius Rufus

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Je me tairai sur l’origine de Curtius Rufus, que quelques-uns font naître d’un gladiateur. Je craindrais de répéter des mensonges ; et le vrai même, j’ai quelque honte à le dire. Au sortir de l’adolescence, ayant suivi notre questeur en Afrique, il se trouvait dans la ville d’Adrumète. C’était vers le milieu du jour, et il se promenait seul sous les portiques déserts,