Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/256

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lorsqu’une femme d’une taille plus qu’humaine apparut à ses yeux, et lui dit ces paroles : "C’est toi, Rufus, qui viendras un jour dans cette province comme proconsul." Cette prédiction enfle ses espérances. Il retourne à Rome, et, par la faveur de ses amis et sa propre activité, il parvient à la questure. Bientôt, préféré aux plus nobles candidats, il est créé préteur par le suffrage du prince. Tibère, pour voiler la bassesse de sa naissance, dit que Curtius Rufus était le fils de ses œuvres. Il parvint depuis à une longue vieillesse ; et, tristement servile auprès des grands, hautain envers les petits, capricieux avec ses égaux, il obtint le consulat, les ornements du triomphe, et enfin le gouvernement de l’Afrique. Il acheva, en y mourant, de vérifier l’annonce de sa destinée.

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Cependant, à Rome, un chevalier nommé Cn. Novius, sans motif connu alors ou qu’on ait pu découvrir depuis, fut trouvé avec un poignard dans la foule de ceux qui venaient saluer le prince. Déchiré par la torture, il s’avoua coupable, sans révéler de complices ; on ignore s’il en avait dont il cachât les noms. Sous les mêmes consuls, P. Dolabella proposa qu’il fût donné tous les ans un spectacle de gladiateurs aux frais de ceux qui obtiendraient la questure. Du temps de nos ancêtres, cette dignité était le prix de la vertu, et tout citoyen qui se sentait du mérite pouvait demander les magistratures. L’âge même n’était pas fixé, et rien n’empêchait que, dès la première jeunesse, on ne fût consul ou dictateur. La questure fut instituée sous les rois, comme on le voit par la loi curiate11 que Brutus renouvela. Le droit d’élire à cette charge demeura aux consuls, jusqu’aux temps où le peuple la conféra comme les autres honneurs. Les premiers questeurs qu’il nomma furent Valérius Potitus et Marhercus Émilius, soixante-trois ans après l’expulsion des Tarquins ; ils devaient accompagner les généraux à la guerre. Les affaires se multipliant chaque jour, on en ajouta deux pour la ville. Le nombre en fut doublé lorsqu’aux tributs que payait déjà l’Italie se joignirent les revenus des provinces. Sylla, par une loi, le porta jusqu’à vingt, afin qu’ils servissent à recruter le sénat, auquel il avait attribué les jugements12. Plus tard, les jugements furent rendus aux chevaliers. Mais toujours la questure, qu’elle fût obtenue par le mérite ou accordée par la faveur, était donnée gratuitement, jusqu’à l’époque où, sur la proposition de Dolabella, on commença de la vendre.

11. On appelait loi curiate l’acte par lequel le peuple, assemblé en curies, confirmait un testament ou une adoption, et celui par lequel il attribuait aux magistrats le commandement militaire, imperium ; acte sans lequel ils ne possédaient que l’autorité civile, potestas. Il s’agit ici de la loi qui réglait le pouvoir des rois et qui était renouvelée à chaque règne ; Brutus la renouvela aussi, afin de conférer aux consuls les mêmes pouvoirs qu’avaient eus les rois auxquels ils succédaient.
12. L’an de Rome 672, Sylla rendit une loi qui admettait les seuls sénateurs à siéger comme juges dans les tribunaux.

An 48

Des Gaulois veulent devenir sénateurs

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Sous le