Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/305

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

se plaint qu’on lui donne une affranchie pour rivale, une esclave pour bru. Au lieu d’attendre le repentir de son fils ou la satiété, elle éclate en reproches, et plus elle l’en accable, plus elle allume sa passion. Enfin Néron, dompté par la violence de son amour, dépouille tout respect pour sa mère, et s’abandonne à Sénèque. Déjà un ami de ce dernier, Annéus Sérénus, feignant d’aimer lui-même l’affranchie, avait prêté son nom pour voiler la passion naissante du jeune prince ; et les secrètes libéralités de Néron passaient en public pour des présents de Sérénus. Alors Agrippine change de système, et emploie pour armes les caresses : c’est son appartement, c’est le sein maternel, qu’elle offre pour cacher des plaisirs dont un si jeune âge et une si haute fortune ne sauraient se passer. Elle s’accuse même d’une rigueur hors de saison ; et ouvrant son trésor, presque aussi riche que celui du prince, elle l’épuise en largesses ; naguère sévère à l’excès pour son fils, maintenant prosternée à ses pieds. Ce changement ne fit pas illusion à Néron. D’ailleurs les plus intimes de ses amis voyaient le danger, et le conjuraient de se tenir en garde contre les pièges d’une femme toujours implacable, et alors implacable à la fois et dissimulée. Il arriva que vers ce temps Néron fit la revue des ornements dont s’étaient parées les épouses et les mères des empereurs, et choisit une robe et des pierreries qu’il envoya en présent à sa mère. Il n’avait rien épargné : il offrait les objets les plus beaux, et ces objets, que plus d’une femme avait désirés, il les offrait sans qu’on les demandât. Mais Agrippine s’écria : "que c’était moins l’enrichir d’une parure nouvelle que la priver de toutes les autres, et que son fils lui faisait sa part dans un héritage qu’il tenait d’elle tout entier." On ne manqua pas de répéter ce mot et de l’envenimer.

Disgrâce de Pallas - Agrippine hystérique

14

Irrité contre ceux dont s’appuyait cet orgueil d’une femme, le prince ôte à Pallas la charge qu’il tenait de Claude2, et qui mettait en quelque sorte le pouvoir dans ses mains. On rapporte qu’en le voyant se retirer suivi d’un immense cortège, Néron dit assez plaisamment que Pallas allait abdiquer : il est certain que cet affranchi avait fait la condition que le passé ne donnerait lieu contre lui à aucune recherche, et qu’il serait quitte envers la république. Cependant Agrippine, forcenée de colère,