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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/306

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semait autour d’elle l’épouvante et la menace ; et, sans épargner même les oreilles du prince, elle s’écriait "que Britannicus n’était plus un enfant ; que c’était le véritable fils de Claude, le digne héritier de ce trône, qu’un intrus et un adopté n’occupait que pour outrager sa mère. Il ne tiendrait pas à elle que tous les malheurs d’une maison infortunée ne fussent mis au grand jour, à commencer par l’inceste et le poison. Grâce aux dieux et à sa prévoyance, son beau-fils au moins vivait encore : elle irait avec lui dans le camp ; on entendrait d’un côté la fille de Germanicus, et de l’autre l’estropié Burrus et l’exilé Sénèque, venant, l’un avec son bras mutilé, l’autre avec sa voix de rhéteur, solliciter l’empire de l’univers." Elle accompagne ces discours de gestes violents, accumule les invectives, en appelle à la divinité de Claude, aux mânes des Silanus, à tant de forfaits inutilement commis.

2. Pallas était maître des comptes et trésorier de Claude ; indépendamment des revenus particuliers de l’empereur, il administrait encore les finances de l’État.

Essai d’empoisonnement sur Britannicus

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Néron, alarmé de ces fureurs, et voyant Britannicus près d’achever sa quatorzième année, rappelait tour à tour à son esprit et les emportements de sa mère, et le caractère du jeune homme, que venait de révéler un indice léger, sans doute, mais qui avait vivement intéressé en sa faveur. Pendant les fêtes de Saturne, les deux frères jouaient avec des jeunes gens de leur âge, et, dans un de ces jeux, on tirait au sort la royauté ; elle échut à Néron. Celui-ci, prés avoir fait aux autres des commandements dont ils pouvaient s’acquitter sans rougir, ordonne à Britannicus de se lever, de s’avancer et de chanter quelque chose. Il comptait faire rire aux dépens d’un enfant étranger aux réunions les plus sobres, et plus encore aux orgies de l’ivresse. Britannicus, sans se déconcerter, chanta des vers dont le sens rappelait qu’il avait été précipité du rang suprême et du trône paternel. On s’attendrit, et l’émotion fut d’autant plus visible que la nuit et la licence avaient banni la feinte. Néron comprit cette censure, et sa haine redoubla. Agrippine par ses menaces en hâta les effets. Nul crime dont on pût accuser Britannicus, et Néron n’osait publiquement commander le meurtre d’un frère : il résolut de frapper en secret, et fit préparer du poison. L’agent qu’il choisit fut Julius Pollio, tribun d’une cohorte prétorienne, qui avait sous sa garde Locuste, condamnée pour empoisonnement, et fameuse par beaucoup de forfaits. Dés longtemps on avait eu soin de ne placer auprès de Britannicus que des hommes pour qui rien ne fût sacré : un premier breuvage lui fut donné par ses gouverneurs