Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/308

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que, les derniers jours avant l’empoisonnement, Néron déshonora par de fréquents outrages l’enfance de Britannicus. Ainsi, quoique frappé à la table sacrée du festin, sous les yeux de son ennemi, et si rapidement qu’il ne put même recevoir les embrassements d’une sœur, on ne trouve plus sa mort ni prématurée, ni cruelle, quand on voit l’impureté souiller, avant le poison, ce reste infortuné du sang des Claudius. Néron excusa par un édit la précipitation des obsèques. "C’était, disait-il, la coutume de nos ancêtres, de soustraire aux yeux les funérailles du jeune âge, sans en prolonger l’amertume par une pompe et des éloges funèbres. Quant à lui, privé de l’appui d’un frère, il n’avait plus d’espérance que dans la république ; nouveau motif pour le sénat et le peuple d’entourer de leur bienveillance un prince qui restait seul d’une famille née pour le rang suprême." Ensuite il combla de largesses les principaux de ses amis.

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On ne manqua pas de trouver étrange que des hommes qui professaient une morale austère3 se fussent, dans un pareil moment, partagé comme une proie des terres et des maisons. Quelques-uns pensèrent qu’ils y avaient été forcés par le prince, dont la conscience coupable espérait se faire pardonner son crime, en enchaînant par des présents ce qu’il y avait de plus accrédité dans l’État. Mais aucune libéralité n’apaisa-le courroux de sa mère : elle serre Octavie dans ses bras ; elle a de fréquentes et secrètes conférences avec ses amis ; à son avarice naturelle parait se joindre une autre prévoyance, et elle ramasse de l’argent de tous côtés, accueillant d’un air gracieux tribuns et centurions, honorant les noms illustres et les vertus que Rome possède encore, comme si elle cherchait un chef et des partisans. Agrippine conservait, comme mère de l’empereur, la garde qu’elle avait eue en qualité d’épouse : Néron, instruit de ses manœuvres, ordonna qu’elle en fût privée, ainsi que des soldats germains qu’il y avait ajoutés par surcroît d’honneur. Pour éloigner d’elle la foule des courtisans, il sépara leurs deux maisons et transporta sa mare dans l’ancien palais d’Antonia4. Lui-même n’y allait jamais qu’escorté de centurions, et il se retirait après un simple baiser.

3. Entre autres, Sénèque et Burrus.
4. Il s’agit sans doute d’Antonia, l’aïeule de Néron.

Complot d’Agrippine

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Rien au monde n’est aussi fragile et aussi fugitif qu’un