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annales, livre i

Tibérius Néro et Claudius Drusus[1], quoique sa propre maison fût encore florissante : car il avait fait entrer dans la famille des Césars Caïus et Lucius[2], fils d’Agrippa, qui, même avant d’avoir quitté la robe de l’enfance, furent nommés princes de la jeunesse[3] et désignés consuls ; ce qu’Auguste, tout en feignant de le refuser, avait ardemment désiré. Mais Agrippa cessa de vivre ; les deux Césars, Lucius en allant aux armées d’Espagne, Caius en revenant blessé d’Arménie, furent enlevés par une mort que hâtèrent les destins ou le crime de leur marâtre Livie ; depuis longtemps Drusus n’était plus, il ne restait à Auguste d’autre beau-fils que Tibère. Alors celui-ci fut le centre où tout vint aboutir : il est adopté, associé à l’autorité suprême et à la puissance tribunitienne, montré avec affectation à toutes les armées. Ce n’était plus par d’obscures intrigues, mais par de publiques sollicitations, que sa mère allait à son but. Elle avait tellement subjugué la vieillesse d’Auguste, qu’il jeta sans pitié dans l’île de Planasie[4] son unique petit-fils, Agrippa Postumus, jeune homme, il est vrai, d’une ignorance grossière et stupidement orgueilleux de la force de son corps, mais qui n’était convaincu d’aucune action condamnable. Toutefois il mit Germanicus, fils de Drusus, à la tête de huit légions sur le Rhin, et obligea Tibère de l’adopter, quoique celui-ci eût un fils déjà sorti de l’adolescence ; mais Auguste voulait multiplier les soutiens de sa maison. Il ne restait alors aucune guerre, si ce n’est celle contre les Germains ; et l’on combattait plutôt pour effacer la honte du désastre de Varus que pour l’agrandissement de l’empire ou les fruits de la victoire. Au-dedans tout était calme ; rien de changé dans le nom des magistratures ; tout ce qu’il y avait de jeune était né depuis la bataille d’Actium, la plupart des vieillards au milieu des guerres civiles : combien restait-il de Romains qui eussent vu la République ?

IV. La révolution était donc achevée ; un nouvel esprit avait partout remplacé l’ancien ; et chacun, renonçant à l’égalité, les

  1. Tibérius Néro (l’empereur Tibère) et Claudius Drusus étaient fils de Tibérius Claudius et de Livia Drusilla, que Tibérius céda pour femme à Auguste, pendant qu’elle était enceinte de Drusus.
  2. Par adoption.
  3. Le chevalier romain que les censeurs avaient inscrit le premier sur le tableau de son ordre s’appelait princeps equestris ordinis. Le titre de princeps juventutis paraît analogue à celui-là.
  4. Voisine de l’île d’Elbe ; on la nomme aujourd’hui Planosa.