Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/335

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il croit déjà la voir accourir avide de vengeance. "Elle allait armer ses esclaves, soulever les soldats, ou bien se, jeter dans les bras du sénat et du peuple, et leur dénoncer son naufrage, sa blessure, le meurtre de ses amis : quel appui restait-il au prince, si Burrus et Sénèque ne se prononçaient ? " Il les avait mandés dés le premier moment : on ignore si auparavant ils étaient instruits. Tous deux gardèrent un long silence, pour ne pas faire des remontrances vaines ; ou peut-être croyaient-ils les choses arrivées à cette extrémité, que, si l’on ne prévenait Agrippine, Néron était perdu. Enfin Sénèque, pour seule initiative, regarda Burrus et lui demanda s’il fallait ordonner le meurtre aux gens de guerre. Burrus répondit "que les prétoriens, attachés à toute la maison des Césars, et pleins du souvenir de Germanicus, n’oseraient armer leurs bras contre sa fille. Qu’Anicet achevât ce qu’il avait promis." Celui-ci se charge avec empressement de consommer le crime. A l’instant Néron s’écrie "que c’est en ce jour qu’il reçoit l’empire, et qu’il tient de son affranchi ce magnifique présent ; qu’Anicet parte au plus vite et emmène avec lui des hommes dévoués." De son côté, apprenant que l’envoyé d’Agrippine, Agérinus, demandait audience, il prépare aussitôt une scène accusatrice. Pendant qu’Agérinus expose son message, il jette une épée entre les jambes de cet homme ; ensuite il le fait garrotter comme un assassin pris en flagrant délit, afin de pouvoir feindre que sa mère avait attenté aux jours du prince, et que, honteuse de voir son crime découvert, elle s’en était punie par la mort.

Mort d’Agrippine

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Cependant, au premier bruit du danger d’Agrippine, que l’on attribuait au hasard, chacun se précipite vers le rivage. Ceux-ci montent sur les digues ; ceux-là se jettent dans des barques ; d’autres s’avancent dans la mer, aussi loin qu’ils peuvent ; quelques-uns tendent les mains. Toute la côte retentit de plaintes, de voeux, du bruit confus de mille questions diverses, de mille réponses incertaines. Une foule immense était accourue avec des flambeaux : enfin l’on sut Agrippine vivante, et déjà on se disposait à la féliciter, quand la vue d’une troupe armée et menaçante dissipa ce concours. Anicet investit la maison, brise la porte, saisit les esclaves qu’il rencontre, et parvient à l’entrée de l’appartement. Il y trouva peu de monde ; presque tous, à son approche, avaient fui épouvantés. Dans la chambre, il n’y avait qu’une faible lumière, une seule esclave, et Agrippine, de plus en plus inquiète de