Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/336

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ne voir venir personne de chez son fils, pas même Agérinus. La face des lieux subitement changée, cette solitude, ce tumulte soudain, tout lui présage le dernier des malheurs. Comme la suivante elle-même s’éloignait : "Et toi aussi, tu m’abandonnes," lui dit-elle : puis elle se retourne et voit Anicet, accompagné du triérarque Herculéus et d’Oloarite, centurion de la flotte. Elle lui dit "que, s’il était envoyé pour la visiter, il pouvait annoncer qu’elle était remise ; que, s’il venait pour un crime, elle en croyait son fils innocent ; que le prince n’avait point commandé un parricide." Les assassins environnent son lit, et le triérarque lui décharge le premier un coup de bâton sur la tête. Le centurion tirait son glaive pour lui donner la mort. "Frappe ici," s’écria-t-elle en lui montrant son ventre, et elle expira percée de plusieurs coups.

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Voilà les faits sur lesquels on s’accorde. Néron contempla-t-il le corps inanimé de sa mère, en loua-t-il la beauté ? les uns l’affirment, les autres le nient. Elle fut brûlée la nuit même, sur un lit de table, sans la moindre pompe ; et, tant que Néron fut maître de l’empire, aucun tertre, aucune enceinte ne protégea sa cendre. Depuis, des serviteurs fidèles lui élevèrent un petit tombeau sur le chemin de Misène, prés de cette maison du dictateur César, qui, située à l’endroit le plus haut de la côte, domine au loin tout le golfe. Quand le bûcher fut allumé, un de ses affranchis, nommé Mnester, se perça d’un poignard, soit par attachement à sa maîtresse soit par crainte des bourreaux. Telle fut la fin d’Agrippine, fin dont bien des années auparavant elle avait cru et méprisé l’annonce. Un jour qu’elle consultait sur les destins de Néron, les astrologues lui répondirent qu’il régnerait et qu’il tuerait sa mère : "Qu’il me tue, dit-elle, pourvu qu’il règne."

"Tistesse" de Néron

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C’est quand Néron eut consommé le crime qu’il en comprit la grandeur. Il passa le reste de la nuit dans un affreux délire : tantôt morne et silencieux, tantôt se relevant avec effroi, il attendait le retour de la lumière comme son dernier moment. L’adulation des centurions et des tribuns, par le conseil de Burrus, apporta le premier soulagement à son désespoir. Ils lui prenaient la main, le félicitaient d’avoir échappé au plus imprévu des dangers, aux complots d’une mère. Bientôt ses amis courent aux temples des dieux, et, l’exemple une fois donné, les villes de Campanie témoignent leur allégresse par des sacrifices et des députations. Néron, par une dissimulation contraire, affectait la douleur ; il semblait haïr des jours conservés à