Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/354

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consulte qui les menaçait tous du dernier supplice. Décrétez maintenant l’impunité : qui de nous trouvera dans sa dignité de maître une sauvegarde que le préfet de Rome n’a pas trouvée dans sa place ? qui s’assurera en de nombreux serviteurs, lorsque quatre cents n’ont pas sauvé Pédanius ? A qui porteront secours des esclaves que déjà la crainte de la mort n’intéresse pas à nos dangers ? Dira-t-on, ce que plusieurs n’ont pas rougi de feindre, que le meurtrier avait des injures à venger ? Apparemment il avait hérité de son père l’argent de sa rançon, ou l’esclave qu’on lui enlevait était un bien de ses aïeux ! Faisons plus : prononçons que, s’il a tué son maître, il en avait le droit.

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Veut-on argumenter sur des questions résolues par de plus sages que nous ? Eh ! bien, si nous avions celle-ci à décider pour la première fois, croyez-vous qu’un esclave ait conçu le dessein d’assassiner son maître, sans qu’il lui soit échappé quelque parole menaçante, sans qu’une seule indiscrétion ait trahi sa pensée ? Je veux qu’il l’ait enveloppée de secret, que personne ne l’ait vu aiguiser son poignard : pourra-t-il traverser les gardes de nuit, ouvrir la chambre, y porter de la lumière, consommer le meurtre, à l’insu de tout le monde ? Mille indices toujours précèdent le crime. Si nos esclaves le révèlent, nous pourrons vivre seuls au milieu d’un grand nombre, sûrs de notre vie parmi des gens inquiets pour la leur ; enfin, entourés d’assassins, si nous devons périr, ce ne sera pas sans vengeance. Nos ancêtres redoutèrent toujours l’esprit de l’esclavage, alors même que, né dans le champ ou sous le toit de son maître, l’esclave apprenait à le chérir en recevant le jour. Mais depuis que nous comptons les nôtres par nations16, dont chacune a ses mœurs et ses dieux, non, ce vil et confus assemblage ne sera jamais contenu que par la crainte. Quelques innocents périront. Eh ! lorsqu’on décime une armée qui a fui, le sort ne peut-il pas condamner même un brave à expirer sous le bâton ? Tout grand exemple est mêlé d’injustice, et le mal de quelques-uns est racheté par l’avantage de tous."

16. Les troupes immenses d’esclaves que possédaient quelques Romains étaient divisées selon leur pays, leur couleur, leur âge : c’est-à-dire qu’on mettait respectivement ensemble les Thraces, les Phrygiens, les Africains, etc.

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A cet avis de Cassius, que personne n’osa combattre individuellement, cent voix confuses répondaient en plaignant