Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/358

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il surpasserait l’empereur par l’agrément de ses jardins et la magnificence de ses maisons de campagne." Ils lui reprochaient encore de s’arroger à lui seul la gloire de l’éloquence, de faire des vers plus fréquemment, depuis que Néron avait pris le goût de la poésie. "Censeur injuste et public des amusements du prince, il lui refuse le mérite de bien conduire un char ; il rit de ses accents, toutes les fois qu’il chante. Quand donc tout ce qui se fait de glorieux dans l’État cessera-t-il de paraître inspiré par cet homme ? Certes, l’enfance de Néron est finie, et l’âge de la force est venu pour lui. Qu’il s’affranchisse d’une odieuse discipline : n’a-t-il pas d’autres maîtres, et d’assez grands, ses aïeux ? "

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Sénèque, averti, par quelques hommes encore sensibles à l’honneur, des crimes qu’on lui prêtait, voyant d’ailleurs le prince repousser de plus en plus son intimité, demande un entretien, et, l’ayant obtenu, il parle ainsi : "Il y a quatorze ans, César, que je fus placé auprès du berceau de ta future grandeur ; il y en a huit que tu règnes. Pendant ce temps, tu as accumulé sur moi tant d’honneurs et de richesses, qu’il ne manque rien à ma félicité que d’avoir des bornes. Je citerai de grands exemples, et je les prendrai non dans mon rang, mais dans le tien. Ton trisaïeul Auguste permit que M. Agrippa se retirât à Mitylène, et que Mécène, sans quitter Rome, s’y reposât comme dans une lointaine retraite. L’un, compagnon de ses guerres, l’autre, éprouvé à Rome par des travaux de toute espèce, avaient reçu des récompenses, magnifiques sans doute, mais achetées par d’immenses services. Moi, quels titres ai-je apportés à ta munificence, si ce n’est des études nourries, pour ainsi dire, dans l’ombre, et qui empruntent tout leur éclat de ce que je parais avoir dirigé les essais de ta jeunesse, prix déjà si haut de si faibles talents ? Mais toi, César, tu m’as environné d’un crédit sans bornes, de richesses infinies, au point que souvent je me dis à moi-même : Qui ? moi, né simple chevalier, au fond d’une province18, je suis compté parmi les premiers de l’État ! ma nouveauté s’est fait jour entre tant de noms décorés d’une longue illustration ! Où est cette philosophie si bornée dans ses désirs ? est-ce elle qui embellit ces jardins, qui promène son faste dans ces maisons de plaisance, qui possède ces vastes domaines, ces inépuisables