Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/360

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rougis même que, le premier dans mon cœur, tu ne sois pas encore au-dessus de tous par la fortune.

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"Mais ton âge plein de vigueur suffit toujours et aux travaux, et aux jouissances que les travaux procurent ; et moi je fais mes premiers pas dans la carrière du gouvernement. Sans doute tu ne te mets pas au-dessous de Vitellius, qui fut trois fois consul, ni moi au-dessous de Claude ; et cependant Volusius a plus acquis de biens par de longues épargnes, que ne peut t’en donner ma générosité. Tu sais combien la pente de la jeunesse est glissante ; si elle m’entraîne, sois près de moi pour me retenir. Soutiens cette raison que as ornée ; gouverne ma force avec plus de soin que jamais. Ce n’est pas ta modération, si tu renonces à tes biens, ni ton amour du repos, si tu quittes le prince, c’est mon avarice, c’est la crainte supposée de ma cruauté, qui seront dans toutes les bouches : mais dût la voix publique célébrer ton désintéressement, jamais il ne sera digne d’un sage de sacrifier à sa gloire la réputation d’un ami." A ces paroles, il ajoute des embrassements et des baisers ; formé par la nature, exercé par l’habitude à voiler sa haine sous d’insidieuses caresses. Sénèque lui rendit grâce, conclusion ordinaire des entretiens avec les puissances ; mais il changea les habitudes d’une faveur qui n’était plus. Il écarte cette foule qui s’empressait à le visiter ; il évite qu’on lui fasse cortège, se montre peu dans la ville, alléguant tour à tour qu’une santé faible ou des études philosophiques le retenaient chez lui.

Intrigues de Tigellin

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Sénèque abattu, il ne fut pas difficile d’ébranler Fénius : son crime était l’amitié d’Agrippine. Tigellin devenait donc plus fort de jour en jour. Persuadé que ses vices, unique fondement de son crédit, seraient mieux reçus du prince, si une société de crimes resserrait leur union, il épie ses défiances ; et, s’étant assuré qu’il ne craignait personne autant que Plautus et Sylla, relégués depuis peu, Plautus en Asie, et Sylla dans la Gaule narbonnaise, il lui parle de leur naissance, de leur séjour auprès des armées, l’un d’Orient, l’autre de Germanie. A l’en croire, "il ne nourrit pas, lui, comme faisait Burrus, de doubles espérances ; la sûreté de Néron est tout ce qui l’occupe. Le prince a contre les complots du dedans une sauvegarde telle quelle, sa présence ; mais les gouvernements lointains, quel moyen de les réprimer ? Le nom de Sylla, ce nom dictatorial, tient la Gaule attentive ; et un petit-fils de Drusus porte au milieu de l’Asie une illustration qui ne la rend pas