Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/361

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moins suspecte. Sylla est pauvre, ce qui accroît son audace ; il feint l’indolence, en attendant l’heure de tenter les hasards. Plautus, maître d’une grande fortune, n’affecte pas même le désir du repos. Il se pare d’une ambitieuse imitation des vieux Romains. II prend jusqu’à l’arrogance des stoïciens, et l’esprit d’une secte qui fait des intrigants et des séditieux." On ne perdit pas un moment : en six jours, des meurtriers sont rendus à Marseille, et avant le premier soupçon, le moindre bruit du danger, Sylla est tué en se mettant à table. Sa tête, rapportée à Néron, excita ses railleries ; il la trouva blanchie avant le temps.

Mort de Plautus

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La mort de Plautus ne put être préparée avec, le même secret : plus de personnes s’intéressaient à sa conservation ; et la distance des lieux, les délais d’un long voyage de terre et de mer, donnèrent l’éveil à la renommée. On supposa qu’il s’était rendu auprès de Corbulon, qui avait alors de grandes armées sous son commandement, et qui était un des premiers menacés, si la gloire et l’innocence étaient des arrêts de mort. On ajoutait que l’Asie avait pris les armes en faveur du jeune homme, que le nombre ou la résolution avait manqué aux soldats envoyés pour consommer le crime, et que, n’ayant pu exécuter leurs ordres, ils avaient embrassé les intérêts nouveaux. Ces fictions, comme tous les bruits publics, étaient grossies par une oisive crédulité. Au reste, un affranchi de Plautus, favorisé par les vents, prévint les meurtriers, et lui apporta les paroles d’Antistius, son beau-père : il lui disait "de ne pas abandonner lâchement sa vie ; qu’un secours lui restait, la haine du tyran et l’intérêt qui s’attache à un grand nom ; que les gens de bien viendraient à lui ; qu’il appellerait les audacieux ; qu’en attendant aucune ressource n’était à dédaigner ; que, s’il repoussait soixante soldats (c’est le nombre qui était en route), il faudrait du temps pour que la nouvelle en fût portée à Néron, pour qu’une autre troupe passât la mer, et que sa résistance, aidée par mille événements, pouvait devenir une guerre ; qu’enfin, ou cette résolution le sauverait, ou le courage ne lui attirerait pas un danger de plus que la faiblesse. "

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Ces raisons ne décidèrent point Plautus : soit qu’il ne comptât sur aucun secours, exilé et sans armes ; soit ennui de vivre entre l’espoir et la crainte ; soit amour de sa femme et de ses enfants, qui trouveraient peut-être Néron plus exorable, lorsqu’aucune alarme n’aurait troublé son repos. Quelques-