Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/388

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puis au bord de la mer la plus voisine, où l’on puisa de l’eau pour faire des aspersions sur les murs du temple et la statue de la déesse ; enfin les femmes actuellement mariées célébrèrent des sellisternes16 et des veillées religieuses. Mais aucun moyen humain, ni largesses impériales, ni cérémonies expiatoires ne faisaient taire le cri public qui accusait Néron d’avoir ordonné l’incendie. Pour apaiser ces rumeurs, il offrit d’autres coupables, et fit souffrir les tortures les plus raffinées à une classe d’hommes détestés pour leurs abominations et que le vulgaire appelait chrétiens. Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procurateur Pontius Pilatus. Réprimée un instant, cette exécrable superstition se débordait de nouveau, non-seulement dans la Judée, où elle avait sa source, mais dans Rome même, où tout ce que le monde enferme d’infamies et d’horreurs afflue et trouve des partisans. On saisit d’abord ceux qui avouaient leur secte ; et, sur leurs révélations, une infinité d’autres, qui furent bien moins convaincus d’incendie que de haine pour le genre humain. On fit de leurs supplices un divertissement : les uns, couverts de peaux de bêtes, périssaient dévorés par des chiens ; d’autres mouraient sur des croix, ou bien ils étaient enduits de matières inflammables, et, quand le jour cessait de luire, on les brûlait en place de flambeaux. Néron prêtait ses jardins pour ce spectacle, et donnait en même temps des jeux au Cirque, où tantôt il se mêlait au peuple en habit de cocher, et tantôt conduisait un char. Aussi, quoique ces hommes fussent coupables et eussent mérité les dernières rigueurs, les cœurs s’ouvraient à la compassion, en pensant que ce n’était pas au bien public, mais à la cruauté d’un seul, qu’ils étaient immolés.

16. Dans certaines solennités religieuses, ordonnées pour remercier ou apaiser le ciel, on couvrait les autels des mets les plus somptueux, et comme si l’on eût invité les dieux à un festin, on rangeait leurs statues à l’entour, celles des dieux sur des lits, lectos, pulvinaria, celles des déesses sur des sièges, sellas ; d’où lectisternia et sellisternia.

Pillage - Sénèque se porte malade

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Cependant, pour remplir le trésor, on ravageait l’Italie, on ruinait les provinces, les peuples alliés, les villes qu’on appelle libres. Les dieux mêmes furent enveloppés dans ce pillage : on dépouilla les temples de Rome, et on en retira tout l’or votif ou triomphal que le peuple romain, depuis son origine, gavait consacré dans ses périls ou ses prospérités. Mais