Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/404

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le recueil de toutes les dépositions, avec les aveux des condamnés. C’était une réponse aux bruits populaires qui l’accusaient d’avoir tué des innocents par envie ou par crainte. Au reste, qu’une conjuration ait été formée, mûrie, étouffée, ceux qui cherchaient la vérité de bonne foi n’en doutèrent pas alors ; et les exilés revenus à Rome après la mort de Néron l’ont eux-mêmes reconnu. Dans le sénat, tout le monde était aux pieds du prince, et les plus affligés flattaient plus que les autres. Comme Junius Gallio, effrayé de la mort de Sénèque, son frère, demandait grâce pour lui-même, Saliénus Clémens, se déchaînant contre lui, le traita d’ennemi et de parricide. Il fallut, pour arrêter Saliénus, que le sénat tout entier le conjurât "de ne pas laisser croire qu’il abusait des malheurs publics au profit de ses haines particulières, et de ne pas ramenez sous le glaive ce que la clémence du prince avait couvert de la paix ou de l’oubli."

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On décerna ensuite des offrandes et des actions de grâces aux dieux, avec des hommages particuliers au Soleil, qui a, prés du Cirque, où devait s’exécuter le crime, un ancien temple et dont la providence avait dévoilé ces mystérieux complots. II fut décidé qu’aux jeux célébrés dans le Cirque en l’honneur de Cérès on ajouterait de nouvelles courses de chars, que le nom de Néron serait donné au mois d’avril, et un temple élevé à la déesse Salus, au lieu même d’où Scévinus avait tiré son poignard. Néron consacra cette arme dans le Capitole, avec l’inscription : A JUPITER VINDEX. Ces mots ne furent pas remarqués d’abord : après le soulèvement de Julius Vindex, on y vit l’annonce et le présage d’une future vengeance. Je trouve dans les actes du sénat que le consul désigné Cérialis Anicius avait opiné pour que l’État fît au plus tôt bâtir à ses frais un temple au dieu Néron, hommage qu’il lui décernait sans doute comme à un héros élevé au-dessus de la condition humaine et digne de l’adoration des peuples, mais qu’on pouvait un jour interpréter comme un pronostic de sa mort : car on ne rend aux princes les honneurs des dieux que quand ils ont cessé d’habiter parmi les hommes.


Fin du Livre XV