Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/409

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blessures toutes reçues par devant, il tomba comme sur un champ de bataille.

Mort de L. Vétus

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Ce ne fut pas avec moins de courage que L. Vétus, sa belle-mère Sextia, et Pollutia sa fille, subirent le trépas. Ils étaient odieux au prince, auquel leur vie semblait reprocher le meurtre de Rubellius Plautus, gendre de Vétus. Mais cette haine, pour éclater, attendait une occasion ; l’affranchi Fortunatus la fournit, en accusant son maître, après l’avoir ruiné. Il se fit appuyer de Claudius Démianus, que Vétus, étant proconsul d’Asie, avait emprisonné pour ses crimes, et que Néron mit en liberté pour prix de sa délation. Vétus, apprenant qu’il était accusé, et qu’il fallait lutter d’égal à égal avec son affranchi, se retira dans sa terre de Formies, où des soldats le gardèrent secrètement à vue. Sa fille était avec lui, doublement exaspérée par le danger présent et par la longue douleur qui obsédait son âme depuis qu’elle avait vu les assassins de son mari Plautus, et qu’elle avait reçu dans ses bras sa tête ensanglantée. Ce sang et les vêtements qu’il avait arrosés, elle les conservait précieusement, veuve inconsolable, toujours enveloppée de deuil, et ne prenant de nourriture que pour ne pas mourir. A la prière de son père, elle se rend à Naples : là, privée de tout accès auprès de Néron, elle épiait ses sorties et lui criait à son passage "d’entendre un innocent, de ne pas livrer à la merci de son esclave un homme qui fut consul avec le prince." Elle continua ses cris, tantôt avec l’accent d’une femme au désespoir, tantôt avec une énergie toute virile et d’une voix indignée, jusqu’à ce qu’elle vit qu’il n’était ni larmes ni reproches qui pussent émouvoir Néron.

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Elle revient donc, et annonce à son père qu’il faut abandonner l’espérance et se soumettre à la nécessité. On apprend en même temps que le procès va s’instruire devant le sénat, et qu’un arrêt cruel se prépare. Plusieurs conseillèrent à Vétus de nommer le prince héritier d’une grande partie de sa fortune, afin d’assurer le reste à ses petits-fils. Vétus s’y refusa, pour ne pas flétrir, par une fin servile, une vie passée avec quelque indépendance. Il distribue ce qu’il avait d’argent à ses esclaves et leur ordonne de partager entre eux ce qui peut s’emporter, réservant seulement trois lits pour autant de funérailles. Alors tous trois, dans la même chambre, avec le même fer, s’ouvrent les veines, et aussitôt, couverts pour la décence d’un seul vêtement chacun, ils se font porter au bain. Là, tenant les yeux attachés, le père et l’aïeule sur leur fille,