Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/417

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environnaient de secret leurs derniers moments. Il fallait que le peuple vît un homme courageux en face de la mort ; que le sénat entendit les oracles d’une voix plus qu’humaine. Ce prodige pouvait ébranler jusqu’à Néron ; mais, s’obstinât-il dans sa cruauté, la postérité distinguerait au moins le brave qui honore son trépas, du lâche qui périt en silence."

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D’autres voulaient qu’il attendît chez lui. ."De son courage, ils n’en doutaient pas ; mais que d’outrages et d’humiliations il aurait à subir ! Ils lui conseillaient de dérober son oreille à l’invective et à l’injure. Marcellus et Capiton n’étaient pas seuls voués au crime ; trop de méchants étaient capables de se jeter sur lui dans leur brutale furie ; et la peur n’entraînait-elle pas jusqu’aux bons ? Ah ! que plutôt il épargnât au sénat, dont il avait été l’ornement, la honte d’un si grand forfait, et qu’il laissât incertain ce qu’auraient décidé les pères conscrits à la vue de Thraséas accusé ! Croire que Néron pût rougir de ses crimes, c’était se flatter d’un chimérique espoir. Combien plus il fallait craindre que la femme de Thraséas, sa famille, tous les objets de sa tendresse, ne périssent à leur tour ! Qu’il finît donc ses jours, sans qu’aucun affront eût profané sa vertu ; et que la gloire des sages dont les exemples et les maximes avaient guidé sa vie éclatât en sa mort." A ce conseil assistait Rusticus Arulénus6, jeune homme ardent, qui, par amour de la gloire, offrit de s’opposer au sénatus-consulte ; car il était tribun du peuple. Thraséas retint son élan généreux, et le détourna d’une entreprise vaine, et qui, sans fruit pour l’accusé, serait fatale au tribun. Il ajouta "que sa carrière était achevée, et qu’il ne pouvait abandonner les principes de toute sa vie ; que Rusticus, au contraire, débutait dans les magistratures, et que tout l’avenir était à lui ; qu’il se consultât longtemps sur la route politique où, dans un tel siècle, il lui convenait d’entrer." Quant à la question s’il devait aller au sénat, il se réserva d’y songer encore.

6. Il était préteur lorsque la sanglante querelle entre Vitellius et Vespasien se vida aux portes de Rome et dans le sein même de la ville (Hist., liv. III, ch. LXXX). Il écrivit la vie de Thraséas, qu’il se faisait gloire de prendre pour modèle, et ce courage lui valut la mort : il fut condamné sous Domitien ; et le délateur Régulus, non content d’avoir contribué à sa perte, insulta sa mémoire dans un écrit public, où il le traitait de singe des stoïciens.

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Le lendemain, au lever du jour, deux cohortes prétoriennes sous les armes investirent le temple de Vénus Génitrix ;