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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/424

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vieillesse un sujet plus riche et plus paisible, le règne de Nerva et l’empire de Trajan, rares et heureux temps, où il est permis de penser ce qu’on veut, et de dire ce qu’on pense.

II. J’aborde une époque féconde en catastrophes, ensanglantée de combats, déchirée par les séditions, cruelle même durant la paix : quatre princes[1] tombant sous le fer ; trois guerres civiles[2], beaucoup d’étrangères, et souvent des guerres étrangères et civiles tout ensemble[3] ; des succès en Orient, des revers en Occident ; l’Illyrie agitée ; les Gaules chancelantes ; la Bretagne entièrement conquise et bientôt délaissée ; les populations des Sarmates et des Suèves levées contre nous ; le Dace illustré par ses défaites et les nôtres ; le Parthe lui-même prêt à courir aux armes pour un fantôme de Néron ; et en Italie des calamités nouvelles ou renouvelées après une longue suite de siècles ; des villes abîmées[4] ou ensevelies sous leurs ruines, dans la partie la plus riche de la Campanie ; Rome désolée par le feu, voyant consumer ses temples les plus antiques ; le Capitole même brûlé par la main des citoyens ; les cérémonies saintes profanées ; l’adultère dans les grandes familles ; la mer couverte de bannis ; les rochers souillés de meurtres[5] ; des cruautés plus atroces dans Rome : noblesse, opulence, honneurs refusés ou reçus, comptés pour autant de crimes, et la vertu devenue le plus irrémissible de tous ; les délateurs, dont le salaire ne révoltait pas moins que les forfaits, se partageant comme un butin sacerdoces et consulats, régissant les provinces, régnant au palais, menant tout au gré de leur caprice ; la haine ou la terreur armant les esclaves contre leurs maîtres, les affranchis contre leurs patrons ; enfin ceux à qui manquait un ennemi, accablés par leurs amis.

III. Ce siècle toutefois ne fut pas si stérile en vertu qu’on y vît briller aussi quelques beaux exemples. Des mères accompagnèrent la fuite de leurs enfants, des femmes suivirent

  1. Galba, Othon, Vitellius et Domitien.
  2. La première entre Othon et Vitellius ; la seconde entre Vitellius et Vespasien ; la troisième entre Domitien et L. Antoninus.
  3. Comme celle de Civilis.
  4. Pompéia et Herculanum, englouties par l’éruption du Vésuve qui eut lieu sous Titus, l’an de J. C. 79.
  5. On jetait les malheureux bannis sur des îles, ou plutôt sur des rochers déserts, comme Sériphe et Gyare ; souvent ensuite on y envoyait des meurtriers pour les tuer.