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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/425

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leurs maris en exil ; on vit des parents intrépides, des gendres courageux, des esclaves d’une fidélité invincible aux tortures, des têtes illustres soumises à la dernière de toutes les épreuves, cette épreuve même supportée sans faiblesse, et des trépas comparables aux plus belles morts de l’antiquité. À ce concours inouï d’événements humains se joignirent des prodiges dans le ciel et sur la terre, et les voix prophétiques de la foudre, et mille signes de l’avenir, heureux ou sinistres, certains ou équivoques. Non, jamais plus horribles calamités du peuple romain ni plus justes arrêts de la puissance divine ne prouvèrent au monde que, si les dieux ne veillent pas à notre sécurité, ils prennent soin de notre vengeance.

IV. Mais, avant d’entrer dans ces grands récits, il convient d’exposer la situation de Rome, l’esprit des armées, l’état des provinces, celui du monde entier, et quelles parties de ce grand corps étaient saines ou languissantes ; afin que ne se bornant pas à connaître le dénouement et le succès des affaires, qui sont souvent l’ouvrage du hasard, on en découvre la marche et les ressorts cachés. La fin de Néron, après les premiers transports de la joie publique, agita diversement les esprits non seulement du sénat, du peuple, des troupes de la ville ; mais encore des légions et des généraux : le secret de l’État venait d’être révélé ; un empereur pouvait se faire autre part que dans Rome. Le sénat se réjouissait, et, sans perdre un instant, il s’était ressaisi d’une liberté, plus indépendante et plus hardie sous un prince nouveau et absent. Les principaux de l’ordre équestre éprouvaient une joie presque égale à celle des sénateurs. La partie saine du peuple, liée d’intérêt aux grandes familles, les clients, les affranchis des condamnés et des bannis, renaissaient à l’espérance ; la populace accoutumée au cirque et aux théâtres, et avec elle la lie des esclaves, et les dissipateurs ruinés, qui vivaient de l’opprobre de Néron, étaient consternés et recueillaient avidement tous les bruits.

V. Les soldats prétoriens, attachés aux Césars par un long respect du serment militaire, et dont la foi n’avait manqué à Néron que par l’effet d’une surprise et d’une impulsion étrangère, ne voyant pas arriver les largesses promises au nom de Galba, comprenant d’ailleurs que la paix ne donnerait pas lieu, comme la guerre, aux grands services et aux grandes récompenses, et qu’ils étaient devancés dans la faveur d’un prince ouvrage des légions, inclinaient d’eux-mêmes aux