Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/485

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par les armes de Vitellius ; car les cohortes détachées par Cécina étaient aussi arrivées. Une cohorte de Pannoniens fut faite prisonnière à Crémone ; cent cavaliers et mille soldats de marine furent enveloppés entre Plaisance et Ticinum6 ; et ces succès animèrent les Vitelliens au point que le fleuve ne pouvait déjà plus les arrêter. Un obstacle comme le Pô ne faisait même qu’irriter l’audace des Bataves et des troupes venues de l’autre rive du Rhin. Ils le passèrent brusquement vis-à-vis de Plaisance, enlevèrent quelques coureurs, et frappèrent les autres d’une telle épouvante qu’ils s’enfuirent en répandant la fausse nouvelle que toute l’armée de Cécina était derrière eux.

6. Pavie, sur le Tésin, non loin de son embouchure dans le Pô.

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Spurinna, qui occupait Plaisance, avait la certitude que Cécina n’était pas encore arrivé ; bien résolu d’ailleurs, s’il s’approchait, à retenir le soldat dans les retranchements, et à ne pas hasarder trois cohortes prétoriennes et mille vexillaires avec une poignée d’hommes à cheval contre une armée entière de vieilles troupes. Mais les soldats, sans frein et sans expérience, enlèvent les enseignes et les drapeaux et courent en avant, présentant la pointe de leurs armes au général, qui s’efforce de les arrêter, et bravant centurions et tribuns. Ils criaient même à la trahison, et prétendaient qu’on avait appelé Cécina. Cette témérité qui n’était pas la sienne, Spurinna s’y prête enfin, d’abord malgré lui, ensuite en feignant de l’approuver, afin que ses conseils en eussent plus d’autorité, si la sédition devenait moins violente.

19

Quand on fut à la vue du Pô, la nuit approchant d’ailleurs, on jugea nécessaire de se retrancher. Ce travail, nouveau pour une milice accoutumée à l’oisiveté de Rome, abattit les courages. Les plus vieux soldats s’accusent de crédulité ; ils peignent avec effroi le danger qu’on aurait couru si Cécina, déployant son armée dans ces vastes plaines, eût enveloppé un si petit nombre de cohortes. Déjà on parlait dans tout le camp un langage modeste ; et les centurions et les tribuns, se mêlant aux entretiens, louaient la prudence du général, qui avait choisi une colonie forte et opulente pour boulevard et pour centre de la guerre. Enfin Spurinna lui-même, après leur avoir fait sentir leur faute, moins par reproches que par raison, laisse en arrière des éclaireurs et ramène à Plaisance le reste de sa troupe, moins turbulente alors et soumise au commandement. On répara les murailles ; on y ajouta de nouvelles