Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/516

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donneras est celui que j’aurai ; mais les dangers et les risques seront égaux pour tous deux. Ou plutôt (et ce conseil est le meilleur) réserve-toi pour diriger les armées d’Orient ; laisse-moi seul la guerre et ses hasards. La discipline est aujourd’hui plus sévère chez les vaincus que chez les vainqueurs. La colère, la haine, le désir de la vengeance, allument le courage des premiers ; les autres s’engourdissent dans un dédaigneux et indocile orgueil. Le parti victorieux nourrit des plaies couvertes et envenimées : le premier effet de la guerre sera de les dévoiler et de les mettre à nu ; et, si j’espère beaucoup de ta vigilance, de ton économie, de ta sagesse, je ne compte pas moins sur l’abrutissement, l’ignorance et la cruauté de Vitellius. Enfin la guerre rend notre condition meilleure que la paix ; délibérer, c’est être déjà rebelle."

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Enhardis par ce discours, les autres amis de Vespasien se pressent autour de lui, l’encouragent, lui parlent de réponses prophétiques, d’astres favorables. Ces chimères n’étaient pas sans pouvoir sur l’esprit de Vespasien, puisque, devenu maître du monde, il tint publiquement à sa cour un astrologue nommé Séleucus, dont il faisait son conseil et son oracle. D’anciens présages lui revinrent à la pensée : un cyprès d’une hauteur remarquable s’élevait dans ses terres ; un jour il tomba soudainement, et le lendemain, debout à la même place, il reverdissait avec sa tige majestueuse et un plus vaste branchage. C’était, de l’aveu commun des aruspices, un grand et heureux pronostic, et d’éclatantes destinées furent prédites à Vespasien tout jeune en ce temps-là. Les décorations triomphales, le consulat, le beau nom de vainqueur de la Judée, semblaient d’abord avoir accompli le présage ; en possession de cette gloire, il pensa que c’était l’empire qui lui était promis. Entre la Judée et la Syrie est le Carmel ; c’est le nom tout à la fois d’une montagne et d’un dieu. Ce dieu n’a ni statue ni temple ; ainsi l’ont voulu les fondateurs de son culte : il n’a qu’un autel et des adorations. Vespasien sacrifiait en ce lieu, dans le temps où son esprit roulait de secrètes espérances. Le prêtre, nommé Basilide, après avoir à plusieurs reprises considéré les entrailles de la victime : "Vespasien, lui dit-il, quelque projet que tu médites, soit de bâtir une maison, soit d’étendre tes domaines, soit de multiplier tes esclaves, le ciel te donne un vaste terrain, d’immenses limites, une grande multitude d’hommes." La renommée avait alors recueilli cette énigme ; elle l’expliquait maintenant ; il n’était pas de sujet